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États-Unis d’Amérique, qui peuvent disposer d’un territoire cinq fois grand comme la France entière. En Algérie, la reconnaissance des biens du domaine public ne représente encore que les deux tiers de la contenance moyenne d’un département français.

Le champ de la colonisation est beaucoup moins vaste qu’on ne le suppose en France ; il se compose de deux espèces de fonds : 1° propriétés particulières acquises à prix d’argent par les Européens au possesseurs indigènes ; 2° propriétés détachées du domaine public, et données par l’état à titre de concessions provisoires. Il est essentiel d’établir nettement cette distinction ; on en reconnaîtra bientôt l’importance.

Le 30 juillet 1830, vingt-cinq jours après la capitulation d’Alger, un Français achète d’un Maure la ferme de Kouba, destinée à former, en 1832 le centre du premier village bâti par les Européens. Cette affaire est comme un signal attendu par les agioteurs. En peu de temps, la spéculation sur les immeubles, effrénée dans les villes, déborde au loin dans l’intérieur. Les musulmans, persuadés que l’établissement des Européens ne doit pas être durable, vendent à tout prix, avec l’espoir de reprendre la terre après avoir reçu l’argent. À défaut de droits légitimes, de titres valables, ils en inventent. On passe les contrats sur parole sans visiter les lieux ; presque toujours les contenances sont exagérées ; des fonds du domaine public sont vendus par des particuliers, on vend même des biens qui n’existent pas. L’irrégularité des titres de propriété, le mouvement désordonné qui les faisait glisser de mains en mains, sans autre fruit que les profits menteurs de l’agiotage, créa une situation bizarre autant que déplorable. L’Algérie se trouva peuplée de propriétaires qui, en réalité, ne possédaient rien. Un large déploiement des travaux agricoles eût été matériellement impossible. L’autorité ne resta pas inactive à l’aspect du mai. Dès l’année 1832, une première enquête sur la propriété démontra l’urgence d’introduire en Algérie les institutions qui constatent les titres et les droits des propriétaires. Une conservation d’hypothèques fut établie sur les bases de la loi française. Un service du cadastre eut pour tâche de dresser un état général des lieux occupés par nous, en constatant les droits, les ressources et les besoins. Pour que la marche naturelle de la colonisation ne fût pas faussée par l’agiotage, on traça des limites en dehors desquelles il fut interdit d’acheter des terres aux indigènes. Ces diverses mesures n’étaient qu’un acheminement à une réforme décisive. Les ordonnances du 1er octobre 1844 et du 21 juillet 1846 pourvurent à une organisation complète et définitive de la propriété en Algérie. Les difficultés inextricables créées par l’irrégularité des anciennes transactions y sont tranchées par une sorte d’arbitrage judiciaire ; aucun contrat postérieur aux ordonnances n’est valable, s’il ne satisfait pas aux prescriptions du Code civil. On régularise le rachat des rentes stipulées pour