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qui ont été entendues au premier acte au moment du duel. « Donne-moi donc ta main, reprend le commandeur. Et soudain un froid mortel pénètre le cœur de don Juan sans ébranler son courage. « Repens-toi. — Non. — Repens-toi, te dis-je, scelerato ! — Non, non, jamais, » réplique don Juan, qui, au milieu même de douleurs surhumaines et déjà livré aux esprits infernaux, conserve la foi d’un néophyte souriant à l’aurore d’une vie nouvelle. Il disparaît ainsi sous la terre, qui s’entr’ouvre pour l’engloutir.


IV

Le génie de Mozart, on peut le comprendre maintenant, réunit les dons les plus rares, et c’est l’alliance même de facultés si diverses qui prépare merveilleusement l’auteur de Don Juan à opérer une conciliation féconde entre toutes les parties de l’art. Enfant, Mozart étonne le monde musical par les prodiges de son talent d’exécution ; homme mûr, il tient et surpasse tout ce qu’avait promis sa jeunesse. Il excelle dans tous les genres, il étend sa domination sur tout le vaste empire de l’art, depuis la canzonetta jusqu’au poème dramatique, depuis la sonata jusqu’à la symphonie. Son imagination, aussi variée que profonde, aussi tendre que sublime, exprime tous les sentimens de la nature humaine, depuis le demi-sourire de la grace et les transports de l’amour jusqu’aux sombres terreurs de l’ame religieuse ; car il ne faut pas oublier que c’est la même plume qui a écrit le Mariage de Figaro et la messe de Requiem. Après avoir ainsi traité tous les genres et parlé toutes les langues dans des œuvres diverses, Mozart se résume dans un effort suprême, et nous donne, avec la partition de Don Juan, la plus complète expression de son génie.

Le type de don Juan, créé par la légende chrétienne et par la fantaisie du peuple espagnol, avait été modifié une première fois par Molière, qui avait fait du libertin de Séville un hypocrite élégant de la cour de Louis XIV. Ce type, si diversement interprété par Molière et par Tirso de Molina, est repris par Mozart, et revêt entre ses mains une physionomie nouvelle. Le hasard, qui semble parfois remplir les intentions de la Providence, donne pour collaborateur au musicien allemand un homme dont l’esprit vif et fécond, l’imagination riante, la vie aventureuse et la sensualité insatiable sont merveilleusement propres à seconder son génie dans cette œuvre capitale. Lorenzo da Ponte avait deviné l’ame religieuse et mélancolique de Mozart : il s’inspire des tendances de l’immortel artiste aussi bien que des événemens de sa propre destinée, et il trace un canevas admirable où il fait entrer, comme dans le bouclier d’Achille, mille souvenirs charmans de sa jeunesse, la poésie folâtre et les voluptés faciles de la belle Venise, sa