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qui annonce l’arrivée inopportune du jaloux, et par un papillotement des premiers violons de l’effet le plus piquant. Pour couper court à ce dialogue embarrassant, don Juan fait signe de la main à un groupe de musiciens masqués qu’on aperçoit au fond du théâtre de commencer la fête. Aussitôt le petit orchestre attaque isolément un joli air agreste sur un rhythme nouveau à deux quarts, et les deux orchestres, réunis bientôt après aux voix de Zerlina, de Masetto et de don Juan, achèvent, par un crescendo vigoureux et plein de gaieté, le troisième épisode de cet admirable finale.

Après que les convives et les musiciens se sont retirés, quelques notes de l’orchestre, modulant dans le ton relatif de mineur, indiquent l’apparition de dona Elvira, de dona Anna et de don Ottavio. Ils arrivent tous trois déguisés, marchant d’un pas craintif à travers les ténèbres. C’est qu’ils ne se font pas illusion sur le danger de leur entreprise. Avertis par la clameur publique et par de sombres pressentimens qui semblent accuser don Juan d’être l’assassin du commandeur, ils ont résolu de venir observer sa conduite au milieu de la confusion inévitable d’une grande fête, et, comme ils savent d’ailleurs tout ce qu’on peut attendre d’un caractère aussi audacieux, ils cherchent à se rassurer contre le péril commun qui les menace. Chacun de ces trois personnages met une nuance particulière dans l’expression du sentiment qui le préoccupe. Il y a de la fureur dans les paroles de dona Elvira, de la grace dans les encouragemens de don Ottavio, tandis que dona Anna s’inquiète avant tout du danger que peut courir son époux.

Temo pel caro sposo,


dit-elle sur un fragment de mélopée en sol mineur, d’un caractère plein de tristesse. Ce récit, comme celui d’Ottavio et d’Elvira, est accompagné par un frémissement incessant des premiers et des seconds violons, entrecoupé de sombres accords, et ce dessin continu qui exprime si bien le trouble religieux des nobles personnages, Mozart le reproduira à peu près intact dans le finale du second acte, juste au moment où la statue du commandeur vient frapper à la porte de don Juan. Quelle unité et quelle profondeur !

Leporello ayant ouvert une fenêtre pour laisser pénétrer dans la salle du festin la fraîcheur du soir, on entend les violons du petit orchestre, qui est derrière les coulisses, dégager les premiers accords d’un menuet adorable. « Voyez un peu, monseigneur, les beaux masques que voilà, s’écrie Leporello. — Eh bien ! Fais-les entrer, répond don Juan d’un air dégagé et courtois. — Approchez donc, signore maschere, réplique le majordome ; mon maître serait heureux, si vous daigniez prendre part à la fête. » Après un moment d’hésitation, après s’être consultés et avoir comprimé un tressaillement d’horreur qu’ils