Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/920

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pour varier ses plaisirs, pour fatiguer l’ardeur qui le dévore et le pousse incessamment vers l’imprévu, don Juan donne une fête à laquelle il a fait inviter, sans distinction, tous les habitans de la contrée. Dans un château qu’environne un parc magnifique et où éclate partout la somptuosité d’un grand seigneur, l’on voit arriver successivement Zerlina, Masetto, dona Elvira, dona Anna, don Ottavio et une foule confuse de paysans et de citadins. Tel est l’argument de cette grande scène, qui se subdivise en neuf épisodes, amenés et liés entre eux par la logique profonde des caractères et des situations. Chacun de ces épisodes est marqué tantôt par un changement de mesure ou de tonalité, tantôt par un thème nouveau.

Le finale commence par une querelle de ménage, qui a lieu dans la grande allée du parc, entre Zerlina et Masetto, dont la jalousie est plus alarmée que jamais. Après ce duo vivement dialogué, on entend la voix retentissante de don Juan qui vient au-devant de ses convives, en les encourageant à se livrer au plaisir.

Su ! corraggio o buona gente !


dit-il ; buvez, dansez, amusez-vous ! Que la bonne chère et la gaieté vous fassent oublier un instant les soucis de la vie. — Les convives reprennent en chœur les paroles et la phrase musicale de leur amphitryon, puis s’éloignent en chantant. Cette courte et brillante introduction en ut majeur, dont les dernières mesures s’éteignent et s’évaporent en quelques accords mélancoliques, va se résoudre, par la prolongation d’une simple note que retiennent les seconds violons, dans le ton de fa naturel majeur. Alors don Juan, apercevant Zerlina, qui cherchait à se cacher derrière un bouquet d’arbres, s’approche d’elle avec mystère et s’efforce de l’attirer dans le kiosque voisin. La jeune contadina se défend avec une grace et une pudeur charmantes et le petit duo à trois quarts qui résulte de leur débat est d’une fraîcheur toute printanière. Quoi de plus exquis et de plus voluptueux que la phrase suivante de la partie de don Juan :

Vieni un poco,
In questo loco
Fortunata
Io ti vo far…


Brusquement interrompu par l’apparition de Masetto, qui épiait dans un coin la conduite de sa fiancée, don Juan l’accueille d’abord avec étonnement ; puis, se ravisant, il lui dit d’un ton amical : « La belle Zerlina est bien malheureuse lorsqu’elle n’est pas auprès de toi ! Ah ! je vous crois, monseigneur, » réplique Masetto d’un air narquois. Cet incident est relevé d’abord par une modulation passagère en mineur