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de près ce quatuor, on est aussi émerveillé de l’habileté profonde du musicien que de l’inspiration sublime du poète. Il faut d’abord que la patrie de dona Elvira et celle de don Juan, que la situation place au premier plan, au premier plan, se meuvent, se poursuivent et dialoguent constamment, tandis que celles de dona Anna et de don Ottavio, personnages secondaires et passifs, marchent presque toujours ensemble, à la tierce l’une de l’autre. Chaque incident de la situation, chaque nuance du caractère et de la passion est mise en relief avec un soin et un bonheur inouis ! Ainsi, quand dona Anna et don Ottavio, touchés de la douleur de dona Elvira, expriment l’émotion étrange qu’ils éprouvent,

Certo moto d’ignoto tormento,


le rhythme se brise tout à coup en une succession de triolets qui éveillent la curiosité de l’oreille. Le doute a-t-il pénétré dans leur esprit, ils peignent l’incertitude qui les agite en descendant un fragment de gamme chromatique composée de noires, de demi-soupirs et de croches, éclair mélodique qui traverse le mode mineur comme une pensée amère traverse une ame sereine. Ce procédé est très habituel à Mozart il le reproduit encore sous ces paroles que chantent également les deux fiancés :

Che mi dice
Per quella infelice,


tandis que dona Elvira laisse éclater sa fureur en arpégeant une succession de notes qui amènent une modulation en sol mineur. Quant à don Juan, après quelques mesures d’une espèce de récit que dit tour à tour chacun des quatre personnages, il rentre dans le ton principal et prépare la péroraison avec une volubilité de paroles qui trahit son inquiétude. Il continue ses exhortations intéressées en murmurant tout bas quelques sons qui reviennent sans cesse sur un rhythme constant et précipité. Quelles nuances, quelle vérité, quel art profond de manier les voix ! Rien de parasite ; toutes les parties agissent, toutes les notes portent et sont chaudes du souffle de l’ame, comme dit un poète ; une harmonie des plus simples, partout la lumière et la vie, partout la science du langage venant au secours de l’émotion du cœur ! L’accompagnement est aussi exquis que la pensée. Chaque terminaison de phrase importante est répétée par l’orchestre, dont les imitations semblent un écho de la douleur, et le morceau s’achève sans redondante par un simple accord de septième dominante, qui va se reposer sur l’accord de la tonique, exhalé comme un soupir.

L’effet qui résulte de ce quatuor admirable, lorsqu’il est exécuté par des virtuoses qui en comprennent le sens et qui savent le dégager du milieu de ces phrases courtes et délicates, c’est une mélancolie douce