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et se développer sous la main de l’artiste puissant qui le tourne et le retourne au gré de sa volonté, et qui tout à coup en suspend la conclusion par un accord parfait sur la dominante de fa majeur, afin de le rattacher immédiatement aux premières mesures de l’introduction que chante Leporello. Gluck avait déjà employé deux fois ce système dans les ouvertures de ses opéras d’Alceste et d’Iphigénie, et Mozart l’a reproduit en des proportions plus grandioses. Lorsqu’on entend les violons, doublés par les bassons, exhaler lentement les dernières notes plaintives de cette ouverture, on se sent le cœur oppressé comme à l’entrée du séjour d’éternelle douleur où Dante lut cette inscription mémorable :

Permè si va nella citta dolente,
Permè si va nell’ eterno dolore.

L’introduction, qui s’enchaîne immédiatement au dernier accord de l’ouverture, présente toutes les qualités d’une bonne exposition. Les quatre principaux personnages apparaissent successivement sous les traits les plus saillans de leur caractère, et le choc qui les rapproche et engage l’action fait jaillir de sombres pressentimens. Cette introduction se divise en quatre épisodes. Enveloppé de son manteau et assis devant la porte d’une maison espagnole où don Juan a pénétré furtivement pendant la nuit, Leporello se lamente sur le sort qui le condamne à servir. Il chante une sorte de récitatif mesuré d’un rhythme franc, d’un caractère plein de rondeur. La phrase incidente par laquelle Leporello exprime l’intention d’abandonner son état et de faire ainsi l’homme de qualité :

Voglio far il gentiluomo
E non voglio piu servir,


se distingue par l’élégance de la mélodie comme par le brio des accompagnemens. Rien n’échappe au génie de Mozart.

Une gamme ascendante et rapide, parcourue diatoniquement par les premiers violons, annonce le second épisode et l’arrivée de don Juan, poursuivi par dona Anna qui se suspend à son bras. Il en résulte un trio où le désespoir de la femme outragée, le trouble du séducteur et la poltronnerie de Leporello sont exprimés à la fois et tour à tour d’une manière admirable. — Je m’attacherai à tes pas comme une furie désespérée (come furia disperata), s’écrie dona Anna en poussant un cri héroïque qui se prolonge depuis le si bémol du médium jusqu’au la bémol en haut, et cette phrase isolée, d’une vigueur singulière, amène la rentrée de Leporello, tout tremblant, dans le milieu harmonique. Le trio s’achève avec une plénitude d’ensemble qui se concilie avec l’aisance des parties et la diversité des caractères. Survient tout à coup le commandeur, tenant une épée dans sa main tremblante. Il provoque