Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/906

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fort bonne heure. L’opéra du Mariage de Figaro fut traduit et représenté sans succès sur le Théâtre de la Nation en plein 93. Quelques années plus tard, un arrangeur mutila indignement la partition d’Il Flauto magico, qu’on donna aussi au grand Opéra sous le titre des Mystères d’Isis. En l’an XIII, il vint à Paris une troupe de chanteurs allemands, parmi lesquels se trouvait une Mme Lange, qui n’était autre que cette Aloïse Weber, objet du premier amour de Mozart ; cette troupe s’établit dans le théâtre de la Cité, qui prit le nom de Théâtre-Mozart et elle y fit entendre, en langue allemande, quelques-uns des opéras du grand compositeur ; mais ce n’est qu’en 1811 que Don Juan fit son apparition sur le Théâtre-Italien de Paris. Depuis lors, on n’a cessé de le reprendre de temps en temps, bien que trop rarement au gré de ce petit nombre d’initiés qui sont dignes d’en apprécier les mystérieuses beautés.


III

On n’a pas oublié sans doute que Mozart avait composé l’ouverture de Don Juan dans la nuit qui précéda le jour de la première représentation. Quelques heures lui avaient suffi pour résumer dans une préface pleine de grandeur l’expression générale du drame qu’il venait de créer. « Si, comme l’a fort bien dit Rousseau, l’ouverture la mieux conçue est celle qui dispose tellement les cœurs des spectateurs qu’ils s’ouvrent sans effort à l’intérêt qu’on veut leur donner[1], » celle de Don Juan est l’une des plus parfaites qui existent. Dès les premiers accords plaqués sourdement par tout l’orchestre sur la gamme de ré mineur, l’ame est avertie qu’elle va assister à un spectacle douloureux. Les violons se détachent bientôt de la masse instrumentale pour arpéger un léger murmure en figures syncopées, soupir mélodique d’une suavité mystérieuse que Mozart affectionne beaucoup, car on le rencontre souvent dans ses œuvres comme une note fondamentale de son cœur aimant et attristé. L’orchestre reprend aussitôt, et, en quelques coups de pinceau vigoureux, il achève cette introduction d’un si beau caractère et qui frappe l’esprit d’une vague terreur. On y remarque une foule d’autres passages très familiers à Mozart, qui, pour indiquer plus nettement la profonde unité de son tableau, reproduira textuellement cette première page de son ouverture dans le finale du second acte, au moment où la statue du commandeur vient interrompre le souper de don Juan. Cette répétition est un trait de génie.

Le thème en ré majeur, sans avoir rien de très original, reçoit un grand prix par la manière dont il est traité. Modulé, fugué, varié, pris, abandonné et repris tour à tour par chaque instrument, on le voit grandir

  1. Dictionnaire de Musique, art. Ouverture.