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et qui enseignent que la sensation est la source unique de la connaissance, le sein gonflé d’orgueil et l’imagination frappée par les lueurs lointaines d’un idéal naissant, il s’arrache à la famille, il s’arrache à la société, et, la joue encore humide du dernier baiser de sa mère, il s’élance dans le tourbillon d’un avenir inconnu. Confiant dans sa force, confiant dans les principes qui glorifient toutes les passions, il s’avance, le regard étincelant, au bruit de joyeuses fanfares ; il chante, il rit, il déchaîne tous ses instincts, il poursuit le plaisir sans honte, sans sophisme et sans remords. Il veut vivre, étendre la sphère de son action et de sa puissance, agrandir son être, s’élever enfin à cette souveraineté de la volonté promise par les philosophes et ravir à la nature le secret de son éternité. Emporté par les ravissemens de la jeunesse et par les aspirations d’une génération héroïque, il cherche l’infini, il cherche le bonheur suprême en s’abreuvant aux sources amères des voluptés matérielles et de la liberté sans limites. Mais, à chaque crime qu’il commet sur la route, la terre tremble sous ses pas victorieux ; des bruits sinistres se font entendre, sa conscience se trouble, un profond dégoût s’empare de son cœur, le rire expire sur ses lèvres impies, et les génies invisibles du monde moral lui crient de toutes parts : Don Juan, don Juan, ton heure est arrivée, scelerato ! — Oui, ton heure est arrivée, car tu as pris le chemin de la mort. Tu as compris trop tard que le baiser arraché à une femme séduite, loin d’étancher la soif qui te dévore, est un poison âcre qui brûle et tarit toutes les sources de la vie. Il n’y a pas d’amour sans la fidélité du cœur. Le bonheur que tu cherchais dans des voluptés sans nombre se trouve, au contraire, dans la modération des désirs, et l’infini qui échappe à nos étreintes ne peut être entrevu que par la conscience éclairée dont il couronne les divines espérances.

Faust et don Juan sont les types de deux ambitions extrêmes, l’expression vivante de deux erreurs de la nature humaine. Le premier cherche le bonheur dans le développement des seules facultés de l’esprit, dans la solitude de la pure intelligence où sa tête s’égaré. Il ne trouve l’apaisement de la fièvre qui le dévore qu’en se reposant sur le cœur naïf de la pauvre Marguerite. Le second, au contraire, se plonge tout entier dans la matière, croyant en sortir, comme Achille, retrempé et brillant d’une immortelle jeunesse ; mais il expire de satiété et de remords. Personnifications saisissantes d’une époque révolutionnaire, Faust et don Juan s’élancent le même jour du sein du XVIIIe siècle, et, remplis de son esprit audacieux, de ses espérances immortelles, ils cherchent à saisir l’infini, l’un dans les mille phénomènes de la matière, l’autre dans les abstractions de la pensée. Tous deux se perdent, et le bonheur qu’ils poursuivent leur échappe, parce qu’ils ont troublé l’économie de l’œuvre de Dieu, parce qu’ils ont rompu l’unité de la vie