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Varesco, et avoir pris connaissance du personnel dramatique qu’on mettait à sa disposition, il se mit à l’ouvrage, et, le 29 janvier 1781, Idoménéo re di Creta, opera seria en trois actes, fut représenté avec un immense succès. De cette belle et charmante partition date le véritable avènement de Mozart. Tout était nouveau, depuis l’ouverture jusqu’au morceau final ; tout y révélait un génie dominateur qui se dégage des élémens divers et confus dont il s’était nourri jusqu’alors et qui prend possession de sa personnalité. L’auteur d’Idomeneo avait vingt-quatre ans. Il était dans ce moment propice où la sève fermente et circule avec facilité, où tout sourit au regard enchanté de la jeunesse, qui voit l’avenir à travers les nuages d’or de la fantaisie, et son cœur, ému par les agitations d’un sentiment nouveau et mystérieux, laisse déborder dans cette œuvre, qui lui est toujours restée chère, cette langueur pénétrante et cette mélancolie sereine qu’on ne trouve que chez Virgile, Raphaël ou Mozart. Aussi, lorsqu’on entend La musique d’Idomeneo, il vous semble écouter un de ces contes fabuleux que Platon se plaît parfois à intercaler dans ses dialogues, récits enchanteurs qui bercent l’imagination, la remplissent de béatitudes, et nous transportent dans l’une de ces îles merveilleuses créées par la fantaisie de la Grèce, séjours fortunés de l’amour et d’un printemps éternel. Ce chœur, par exemple :

Placido è il mar, andiamo…


Ne dirait-on pas que c’est l’hymne de la jeunesse au départ de la vie, allant, à travers les mers, chercher l’idéal qu’elle porte dans son sein ? Les idées, les formes d’accompagnement et les combinaisons harmoniques qu’on admirera dans Don Juan se trouvent déjà indiquées dans l’opéra d’Idomeneo.

Qu’on se figure maintenant un vieillard plus que sexagénaire, plongé dans le fond d’une loge obscure et pleurant à chaudes larmes en écoutant la musique d’Idomeneo et les transports d’enthousiasme qu’elle excitait dans toute la salle : c’est le vieux Léopold Mozart, arrivé tout exprès de Salzbourg pour assister à la première représentation du premier chef-d’œuvre dramatique de son fils bien-aimé, de son disciple, de cet être supérieur que Dieu lui avait confié et dont il voyait enfin la glorification. Il pouvait s’écrier alors avec l’apôtre : Nunc dimittis, Domine. Le grand succès de l’auteur d’Idomeneo flatta la vanité de l’archevêque de Salzbourg, qui, dans un voyage qu’il fit à Vienne au mois de mars 1781, voulut emmener avec lui le jeune compositeur dont s’entretenait une partie de l’Allemagne. Fixé désormais dans la capitale de l’Autriche, Mozart supporta d’abord avec patience la tyrannie de ce prélat capricieux. Il craignait, en se plaignant trop haut, de faire tort à son père et de lui faire perdre la place qu’il occupait à la chapelle de Salzbourg ; mais, un jour que ce prince insolent