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Weber était une jeune et jolie cantatrice de beaucoup de talent, que Wolfgang avait eu l’occasion de voir et d’entendre lors de son passage à Manheim. Ayant suivi la cour de Charles-Théodore, qui était monté sur le trône électoral de Bavière, Mlle Aloïse de Weber était venue se fixer à Munich avec toute sa famille. Il paraît que Mozart, épris des charmes et du talent de la sémillante Aloïse, avait fait à Manheim une demande qui avait été presque agréée par Mlle de Weber ainsi que par sa famille. C’était la confirmation de ce consentement qu’il venait demander avec anxiété ; mais, lorsque la virtuose coquette et adulée par les grands seigneurs vit arriver chez elle, après un an d’intervalle, un jeune homme maigre, au long nez, aux gros yeux, à la tête exiguë, revêtu d’un habit rouge à boutons noirs qu’il portait en deuil de sa mère[1], elle le toisa d’une manière si froide et si cruelle, que Mozart ne se le fit pas dire deux fois. Il refoula dans son cœur la flamme qui le tourmentait depuis un an, et reporta la partie indécise de son affection sur Constance Weber, la plus jeune des sœurs d’Aloyse. C’est ainsi que les vrais poètes changent d’objet sans changer d’amour, parce qu’ils impriment sur tout ce qu’ils adorent l’image que Dieu a gravée dans leur ame.

Mozart était de retour à Salzbourg et dans les bras de son père vers la fin de l’année 1779. Sa réputation, devenue européenne, avait un peu adouci l’indigne archevêque de qui dépendait le sort de sa famille. Ce prélat grossier n’eut pas de meilleurs procédés pour l’artiste éminent dont il ne comprenait pas le mérite ; mais il consentit, par vanité, à lui offrir la place d’organiste de sa chapelle avec 500 florins d’appointemens, c’est-à-dire un peu moins de ce que gagne de nos jours le plus obscur professeur de solfège. Mozart, qui avait l’ambition des grandes choses et non celle des gros émolumens, accepta la nouvelle position qu’on lui faisait. Il remplissait avec zèle ses modestes fonctions, lorsqu’il reçut de l’électeur de Bavière la proposition d’aller écrire un opera seria pour le théâtre italien de la cour de Munich. Ce fut un grand événement dans la vie de Mozart que cette occasion qui lui était offerte de produire une œuvre dramatique importante dans une grande ville de l’Allemagne. Jusqu’alors son génie, avide de toutes les gloires, avait dispersé ses forces sur une foule de sujets : il avait composé tour à tour des concertos, des sonates, des symphonies, des messes, des cantates, des opéras, abordant tous les styles et perfectionnant toutes les branches de l’art avant de parler la langue de son cœur. Le moment était donc arrivé de secouer par un coup de maître la tutelle de la tradition. C’est ce que comprit très bien Mozart. Il partit pour Munich dans les premiers jours de décembre 1780. Après s’être entendu avec son poète, l’abbé

  1. De Nissen, p. 414 ; Oulibicheff, t. Ier, p. 134.