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le lien mystérieux qui existe entre le musicien et sa création immortelle. Hoffmann a entrevu la pensée philosophique de Don Juan ; mais il y a dans cet opéra un côté plus humain et surtout plus intime, il y a, pour ainsi dire, Mozart tout entier. La biographie doit donc ici compléter l’analyse et c’est à la vie même du musicien qu’il faut demander la meilleure explication de son œuvre.


I

Jean-Chrysostome-Wolfgang-Amédée Mozart est né à Salzbourg, le 27 janvier 1756. Six ans plus tôt, le 8 août 1749, au coup de midi[1], la ville de Francfort-sur-le-Mein donnait le jour à un autre Wolfgang, qui laissera aussi une trace ineffaçable dans l’histoire de l’esprit humain. N’est pas sans dessein que nous rapprochons ici Wolfgang Goethe de Wolfgang Mozart : l’auteur de Faust a plus d’un rapport avec celui de Don Juan.

Le père de Wolfgang Mozart était originaire de la ville d’Augsbourg, où sa famille exerçait la profession de relieur. Après avoir été attaché au comte de Thun en qualité de valet-musicien[2], Léopold Mozart était venu s’établir à Salzbourg, où ayant obtenu une place de premier violoniste à la chapelle de l’évêque, il avait épousé Anna Bertlina, femme aussi pieuse qu’elle était belle. Plus tard il fut élevé au rang de second maître de chapelle. Léopold Mozart était un homme instruit et un excellent musicien ; il a composé beaucoup de musique d’église, quelques intermèdes et une foule de morceaux de genres très variés. Habile professeur de violon, il a fait un ouvrage didactique pour cet instrument, qui est resté long-temps célèbre en Allemagne ; mais la gloire de Léopold Mozart, c’est d’avoir donné le jour à l’auteur de Don Juan et d’avoir compris et dirigé son génie. Il devina de très bonne heure la destinée de son fils. Sa piété profonde crut voir briller sur le front de Wolfgang comme un rayon de la grace divine, et dès-lors toute son existence fut consacrée à l’éducation de cet enfant, qu’il considérait comme un être supérieur commis à ses soins par la Providence. Le caractère intéressant de Léopold Mozart, où la tendresse paternelle se confond avec la foi du chrétien et l’enthousiasme de l’artiste, a été parfaitement compris par M. Oulibicheff, qui en a fait ressortir les diverses nuances.

Six enfans qu’avait eus Léopold Mozart, il ne lui restait que Wolfgang, le dernier venu, et une fille, Marie-Anne, qui était née en 1751, quatre ans avant son frère. Cette sœur unique de Mozart, qu’on appelait familièrement Naennerle (diminutif d’Anna), avait montré aussi de

  1. Expression de Goethe dans ses Mémoires.
  2. Cette qualification de valet-musicien indique quelle était alors la position des artistes en Allemagne.