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compositeur, s’anime de son souffle et découvre le secret de son drame terrible, dont il nous explique les lugubres merveilles. C’est Hoffmann qui a éveillé l’attention de l’Europe sur la portée philosophique du chef-d’œuvre de Mozart et qui en a le premier indiqué le sens mystérieux. Il se présente ici une question : — Dans quelle mesure faut-il accepter cette poétique interprétation de la pensée du musicien ? La figure de don Juan, telle que l’a popularisée le vigoureux pinceau d’Hoffmann, est-ce bien celle qui vit et respire dans le poème de Mozart ? Ce grand artiste, dont les goûts simples et le caractère naïf étaient à l’unisson de sa vie modeste et laborieuse, a-t-il eu conscience des idées sublimes et des aspirations infinies que lui prête son ingénieux et romanesque commentateur ? Quelle est enfin la véritable signification de l’opéra de Don Juan, et que faut-il penser des magnifiques peintures qu’il a inspirées aux poètes depuis qu’Hoffmann leur eut appris à déchiffrer l’harmonie de Mozart ? Ces questions d’un ordre supérieur en soulèvent d’autres qui en sont la conséquence nécessaire. Pourrait-on affirmer, par exemple, que la musique de Don Juan ait jamais été populaire ? Qui oserait dire qu’elle ait été jamais bien comprise par cette foule qui remplit d’ordinaire une salle de spectacle ? Cet opéra unique, que Mozart disait n’avoir composé que pour lui et quelques-uns de ses amis, n’est-ce pas une de ces conceptions destinées aux ames d’élite, qui seules peuvent en goûter les délicatesses infinies, et devant lesquelles s’incline le vulgaire comme devant un idéal suprême dont il entrevoit à peine la profondeur ? Il nous a paru que ces questions valaient la peine d’être examinées de près. D’ailleurs, si l’étude des grands maîtres a toujours son à-propos, il y a des époques dans l’histoire de l’art où l’on sent plus vivement encore le besoin de se recueillir dans la contemplation des chefs-d’œuvre du passé, pour se défendre et se fortifier contre les défaillances et les sombres tristesses du présent.

Un poète charmant a dit avant nous, en parlant du type de Don Juan :

Il en est un plus grand, plus, beau, plus poétique,
Que personne n’a fait, que Mozart a rêvé,
Qu’Hoffmann a vu passer, au son de la musique,
Admirable portrait qu’il n’a point achevé…[1].

Le poète a raison. En effet, jamais l’opéra de Don Juan n’a été l’objet d’une étude patiente et détaillée, jamais une main pieuse et discrète n’a essayé d’en analyser les délicatesses et n’a tenté de pénétrer dans la vie intime du musicien pour y saisir le lien mystérieux qui rattache l’homme à son œuvre bien-aimée, et cette œuvre au siècle qui l’a vue naître. N’est-il pas étonnant que l’Allemagne, si jalouse de la gloire de ses enfans, l’Allemagne qui a publié des volumes de gnose sur le Faust

  1. Alfred de Musset, Spectacle dans un fauteuil.