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Trois années se passèrent dans cette contemplation enthousiaste des harmonies de la nature. L’extase du jeune rêveur se serait prolongée encore sans une circonstance qui influa douloureusement sur sa vie. Son père se remaria. Une marâtre sévère prit possession de la poétique retraite, et les deux jeunes gens furent placés à Anvers dans une institution où devaient s’achever leurs études. Henri Conscience avait alors dix-huit ans. Empressé de se créer une vie indépendante et de s’abandonner à son goût pour les livres, il entreprend de se faire instituteur. Cette calme et modeste existence était le terme de son ambition. Aussitôt il travaille avec une ardeur extraordinaire ; ses études, bien irrégulières jusque-là et conduites à l’aventure, prennent désormais une direction pratique ; les langues étrangères surtout attirent son esprit avide et lui livrent bientôt leurs secrets. Vaine résolution de cette naïve intelligence ! L’enthousiasme de la jeunesse, subitement excité par les commotions politiques, va déranger tous ses plans. Le mouvement de juillet 1830 imprime une forte secousse à l’Europe, et la révolution belge éclate. Tout plongé qu’il était dans l’amour de la nature et les projets studieux, Henri Conscience ne put entendre sans émotion ces grands mots de patrie et de liberté. Il quitte l’école, dit adieu à la maison paternelle, s’engage comme simple volontaire et reste six années au service. La vie des camps ne fut peut-être pas inutile au jeune rêveur ; pour une intelligence mélancolique, c’est souvent une saine éducation que le métier des armes : elle discipline l’esprit et dissipe les rêveries énervantes. M. Henri Conscience fit ses débuts littéraires sous les drapeaux ; il était, disent ses amis, le poète de l’armée belge ; ses chansons françaises, pleines d’entrain, pleines d’allégresse et de joyeuse humeur, couraient de main en main, de bouche en bouche. Cette insouciante période de sa vie ne se prolongea pas long-temps. Rentré dans sa famille en 1836, comme il n’y trouvait décidément pas l’indépendance et la dignité nécessaires, il préféra une pauvreté laborieuse et chercha des occupations à son activité inquiète. L’ambition du jeune Conscience ne s’était jamais élevée bien haut ; initié de bonne heure à ces fortes joies de la nature qui font prendre en pitié les puériles vanités et les conventions menteuses, il ne désirait rien de plus, à vingt ans, qu’un emploi d’instituteur dans quelque village solitaire de la vallée de l’Escaut. Si cette ressource lui manque, il voudra une place de commis, et ensevelira, en pleurant, les poétiques espérances de son imagination. Cet humble désir ne fut pas même exaucé ; M. Conscience frappa vainement à toutes les portes. C’est au milieu de ces angoisses de l’indigence, c’est en mangeant ce pain de la jeunesse si souvent trempé de larmes amères, que le jeune romancier fit ses débuts.

La renaissance flamande s’agitait déjà ; aussitôt après sa victoire de