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pour héritier de la couronne, s’il consentait à reconnaître à son tour la reine Isabelle. Lord Palmerston, Anglais avant d’être whig, se prêtait à l’arrangement. L’Eperanza et l’Heraldo échangeaient déjà des avances significatives ; la feuille carliste prêchait la réconciliation de toutes les opinions modérées, et la feuille ministérielle insinuait de son côté que le comte de Montemolin comprenait tout le premier les nécessités libérales de l’époque[1]. Tout, au dedans comme au dehors, poussait au succès de cette combinaison, qui échoua devant le refus formel du comte de Montemolin. Dégagés par ce refus de leur responsabilité vis-à-vis du général Narvaez, les trois envoyés notifièrent aussitôt au jeune prétendant que 8,000 hommes étaient enrôlés et prêts à entrer en campagne pour son compte. J’ignore si l’offre fut acceptée ; mais c’est de l’abandon de ces tentatives d’arrangement que date la réapparition des bandes carlistes. Vers la même époque, le comte de Montemolin essaya, mais sans succès, d’emprunter une somme assez considérable à un joaillier de la cité, en offrant, pour gage ses diamans. On n’accorde pas au comte de Montemolin une grande portée d’esprit ; mais sa position n’est-elle pas pour beaucoup dans ces tendances de l’opinion à son égard ? Le rôle de prétendant est fait pour écraser même une intelligence au-dessus du médiocre. S’il n’y a chez lui rien d’entraînant, le jeune prince laisse du moins à ceux qui le connaissent une impression bienveillante le souvenir d’un caractère doux qui flotte entre l’indifférence et la réserve, mais qui n’exclut pas, comme on l’a vu, certaine ténacité, cette force des esprits timides.

Il est un nom qui naguère avait sa place dans cette liste de proscrits : la main du suffrage universel vient de l’en rayer. Quels souvenirs trouverais-je d’ailleurs à recueillir ici ? Pour nos voisins comme pour nous, ce nom n’a eu aucune signification politique sérieuse jusqu’au jour ou près de six millions d’électeurs sont venus le jeter à l’Europe comme une énigme, à la France comme un gage d’ordre et d’unité. Le prince Louis ne vivait pas cependant en Angleterre entièrement inaperçu : la bourgeoisie de Londres honorait volontiers en lui le neveu d’un homme que la candide impartialité des riverains de la Tamise admire presque à l’égal du duc de Wellington ; l’aristocratie l’acceptait, de son côté, comme un gentleman de bon goût et très convenablement stylé aux mœurs anglaises (british manners), point capital dans le pays. On comprend difficilement, par exemple, de l’autre côté du détroit, que le bâton de constable que vous savez ait pu fournir matière à épigramme : un duc et pair allant, comme chez nous, monter sa garde, un fusil de munition à l’épaule, voilà ce qui offusquerait singulièrement en revanche le décorum britannique. Le

  1. Heraldo du 17 mai.