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l’une après l’autre les distinctions provinciales, il substituait à la petite patrie une patrie plus belle et plus sacrée, il obéissait à une impérieuse tendance de l’esprit humain, et des tribus éparses il faisait une nation. L’élégie des races disparues s’adresse à la piété des cœurs tendres ; elle ne changera pas les lois de la pensée. La plainte du poète attendrira les ames ; elle ne prévaudra pas contre les inflexibles arrêts de la raison exécutés par l’histoire.

On a besoin de rappeler ces principes pour apprécier le mouvement littéraire qui s’accomplit de nos jours dans la partie flamande de la Belgique. Personne n’ignore que, malgré ses affinités sans nombre avec la France, ce pays a conservé plusieurs provinces fidèles au vieux génie national. Si le voisinage des frontières et le cours de la Meuse introduisent continuellement notre influence au sud et à l’est de la Belgique, il y a du côté de l’Océan, de Dunkerque au fort l’Ecluse, et dans l’intérieur des terres, de Dendermonde à Ostende, toute une population énergique et tenace, sur laquelle les révolutions semblent avoir passé en vain. Cette partie de la Belgique, nommée encore les Flandres, forme deux provinces, l’une à l’ouest, l’autre à l’est, dont Bruges et Gand sont les capitales. C’est là que s’est conservée la langue flamande, là que les anciennes mœurs et l’esprit du temps passé se sont perpétués fidèlement. Ni les Français, ni les Espagnols, ni les Allemands, tour à tour maîtres de cette contrée depuis huit siècles, n’ont entamé cette barrière. Les Flandres restaient toujours les Flandres. Lors même qu’elles ne se révoltaient pas, comme au temps Charles-le-Téméraire ou du duc d’Albe, elles opposaient à la conquête une singulière force d’inertie, en ayant soin de n’aliéner jamais leurs souvenirs nationaux et leur physionomie distincte. Aujourd’hui encore, c’est un phénomène digne d’attention que cette persistance de l’esprit national dans cette Belgique située, comme une marche ouverte, entre les grandes puissances de l’Europe, et destinée, ce semble, à leur fournir des champs de bataille. Si un pays a été foulé sans relâche par les chevaux des conquérans, c’est bien celui-là ; si une contrée a dû perdre et a perdu souvent son type original dans de perpétuels frottemens avec l’étranger, c’est la Belgique à coup sûr, excepté dans ce petit coin si patient et si fort, dans cette race obstinée des Flandres. Est-ce à dire que ce touchant respect de la tradition donne à ces deux provinces des droits plus sacrés que les événemens et supérieurs aux nécessités de l’histoire ? Enfermées dans un pays qu’une influence contraire a transformé depuis long-temps, les Flamands protestèrent en vain contre le travail des siècles. Si les défenseurs de l’esprit flamand s’attribuent une mission politique et prétendent créer un nouveau peuple, ce n’est pas seulement comme Français que nous sommes leurs