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Quel que soit notre respect pour les révolutions et même pour les républiques, il nous est impossible, en écoutant ces mélodies délicieuses, de ne pas nous dire tout bas que la terre où les citronniers fleurissent s’entend mieux aux enchantemens de l’art qu’au aventures de la politique. Cette impression à la fois douce et mélancolique, on l’éprouve aussi en lisant les grands poètes de l’Italie, et nous devons remercier ceux qui, par des études patientes ou des interprétations habiles, concourent à populariser parmi nous ces admirables génies. Deux touristes de poésie et d’art, deux de ces mondains lettrés dont l’influence et l’exemple ne pourraient être qu’utiles à notre pauvre bohème littéraire, MM. Ernest et Edmond Lafond, viennent de publier en un beau volume la traduction des sonnets de Dante et de Pétrarque, de Michel-Ange et de Tasse, précédée d’études ingénieuses sur chacun de ces grands hommes. Nous aimons assez, pour notre part, cette façon de puiser aux vraies sources, au lieu d’apporter soi-même son contingent de poésie à ce fleuve qui roule tant d’oubli sous ses ondes et ne laisse guère surnager que trois ou quatre noms par siècle ; ce n’est qu’aux élus de la Muse qu’il est permis de s’écrier :

Mon verre n’est pas grand, mais je bois dans mon verre !


Mieux vaut, quand le verre n’est pas bien solide ou quand on n’est pas sûr d’avoir rien à y mettre, mieux vaut emprunter à Pétrarque son pur cristal, à Dante sa coupe d’or.

Il n’est pas rare d’entendre dire que les poètes et les vers trouvent aujourd’hui peu d’accueil, parce que le siècle est trop positif, trop prosaïque ; nous oserions presque affirmer le contraire, et prétendre que, s’il est difficile à des poésies d’attirer l’attention, c’est parce que notre siècle est trop poétique, parce qu’en face de tant d’agitations et de souvenirs, d’émotions et de douleurs, l’inspiration de chacun est dépassée par la tristesse, l’inquiétude ou la rêverie de tous. L’ame qui s’ouvre aux impressions du monde extérieur, aux voix de la prière et de l’amour, à tout ce que chante au dedans et au dehors l’immortel dialogue de l’imagination et de la nature, est aisément dupe d’elle-même ; elle croit être seule à regarder ce que tout le monde voit, à écouter ce que tout le monde entend ; et, lorsqu’elle essaie de donner un langage à ses premiers rêves, de faire acte de propriété sur ce fonds commun de poésie que notre siècle achète, hélas ! assez cher, la note individuelle se perd dans l’hymne, j’allais dire le sanglot universel. Il est donc plus sage de recourir aux maîtres, à ceux qui ont su donner à la passion et à la tendresse une forme assez belle pour participer de l’immortalité même des sentimens qu’ils ont chantés. Ce qui nous frappe dans ces poètes, Pétrarque, Dante, le Tasse, Michel-Ange, Corneille, Shakspeare, c’est que, chez eux, ce qui souffre, aime, espère, pleure, prie, c’est l’homme, c’est l’humanité ; chez les modernes, c’est un homme, c’est une individualité brillante, rattachant toute souffrance à ses douleurs, toute félicité à ses joies. Aussi l’imitation des uns est salutaire et féconde, celle des autres est dangereuse et stérile. Il est donc permis d’applaudir à la preuve de bon goût qu’ont donnée MM. Ernest et Edmond Lafond en choisissant aussi bien leurs modèles. Leurs traductions des quatre grands poètes italiens sont d’une élégance d’autant plus remarquable, qu’il s’agissait de faire entrer, dans les étroites limites du sonnet, toutes ces qualités de grace, de passion, d’enthousiasme, de mélancolie, et qu’il