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et qu’en l’y appelant, nous lui donnons la plus haute marque d’estime que la critique sérieuse puisse décerner à un poète éminent qui n’a pas dit son dernier mot.

Du moins, en essayant de faire nos réserves à propos de Louison, nous restons dans le domaine de la littérature. Où descendrions-nous, si nous voulions parler de la Jeunesse des Mousquetaires ? Jeunesse, dites-vous ? c’est décrépitude qu’il faudrait dire. Les auteurs ont tant fait, ils ont tellement fatigué le public de ces éternelles figures, de ces Quatre fils Aymon du feuilleton-roman, qu’ils ont fini par détruire même cette impression d’amusement qui avait accueilli d’Artagnan et Porthos. Aujourd’hui Porthos et d’Artagnan sont plus vieux que Théramène. Il est vrai que jamais on ne traita plus lestement cette loi, pourtant imprescriptible, qui veut que les procédés du drame diffèrent de ceux du roman. Les fournisseurs patentés du Théâtre-Historique n’y mettent pas tant de façons. Ils coupent dans les dix volumes autant de morceaux qu’il leur convient, et ces morceaux s’appellent, suivant leurs dimensions, des actes, des tableaux ou des scènes. Aussi c’est chose curieuse que d’observer les transitions de l’ennui au plaisir parmi les spectateurs de pareilles pièces. Tant qu’on en est aux grands coups d’épée, aux violens coups de théâtre, à ce mouvement matériel qui est surtout l’affaire du machiniste, le public s’amuse, comme il s’amuserait quelques pas plus loin au Cirque-Olympique. Dès que les auteurs ont l’air de-lui dire : Paulò majora canamus, et qu’ils amènent bravement une scène de politique entre Louis XIII et Richelieu, ou une scène d’amour entre Buckingham et Anne d’Autriche, comme rien de tout cela n’est préparé ni lié, comme chacun de ces incidens semble tiré d’un compartiment spécial et transporté tant bien que mal sur le théâtre, il n’y a plus moyen de s’entendre ni surtout de s’amuser. Rien n’égale la fatigue de ces soirées qui commencent en plein jour et finissent le lendemain. Les cordes même vulgaires du cœur n’y sont pas touchées, comme dans le bon vieux mélodrame, que ces pièces-là réhabilitent par comparaison, et l’on y passe incessamment de ces effets scéniques, obtenus par une trappe qui s’ouvre ou une fenêtre qui se brise, à cette phraséologie d’autant plus intolérable qu’elle est plus prétentieuse ; comme ces faux nobles qui sont mille fois inférieurs à d’honnêtes et simples bourgeois. Le théâtre où ces mousquetaires étalent ainsi leur vieille jeunesse nous fait l’effet de la nécropole, ou, mieux encore, de la cité Dès expiations du drame moderne, et l’on éprouve, en y entrant, une impression analogue à celle qu’ont dû ressentir, depuis un an, les libéraux de la restauration en voyant à quelles équipées pouvaient conduire leurs sages idées d’émancipation intellectuelle et politique.

C’est encore la musique qui a le mieux réussi, dans ces derniers temps, à nous ramener, au moins pour quelques heures, de ces agitations qui subsistent dans les esprits, même quand elles s’effacent dans les rues, aux récréations exquises, aux calmes jouissances de l’art. À l’opéra, les débuts de Masset, combinés avec le succès du Violon du Diable, font patiemment attendre le Prophète. Nous nous souvenions d’avoir entendu Masset à l’Opéra-Comique ; c’était alors un chanteur un peu gauche, que son extrême timidité empêchait de tirer parti d’une voix très belle et très étendue. Aujourd’hui, Masset, grace à un séjour de quelques années en Italie, a acquis assez d’assurance et d’aplomb pour qu’il soit facile d’apprécier les rares qualités de cette voix qui parcourt deux octaves en