Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/834

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce qui n’empêchait pas, dit-on, d’en avoir quelque peu dans les salons l’auteur de Louison aurait pu chercher le principal intérêt de sa pièce dans contraste de ce caprice en cornette et en tablier avec la passion rêveuse, mélancolique, à demi voilée, reprenant à la fin possession d’un cœur volage par ton plutôt que par goût. Ce n’eût pas été bien neuf, surtout pour M. de Musset ; mais un esprit tel que le sien a, tant qu’il reste jeune, le secret de tout rajeunir, et un souffle de poésie, circulant à travers tout cela, eût achevé de donner à ces figures le piquant et le charme de la nouveauté. Grace aux hésitations du poète, ces élémens divers, au lieu de se combiner et de se faire valoir, se mêlent et se nuisent ; ces scènes semblent juxtaposées plutôt qu’unies entre elles par une idée nettement conçue, délibérément suivie. Aussi qu’arrive-t-il ? Le spectateur, qui n’avait jamais songé à se plaindre de la ténuité de l’action dans le Caprice et la Porte ouverte, parce que tout y avait sa place et sa mesure, s’aperçoit ici qu’au-dessous de ce dialogue sémillant et fin il n’y a pas assez de tissu pour que toutes ces broderies y puissent tenir. Dès-lors ces ingénieux détails, ces vers d’un tour poétique et charmant, n’étant plus, pour ainsi dire, inhérens à la pièce même, ne s’en exhalant pas comme ces mélodies qui semblent naître et jaillir d’une situation musicale, mais s’y ajoutant après coup comme des morceaux détachés, n’exercent plus le même prestige. Ce ne sont plus des beautés, mais des ornemens ; et si l’on voulait s’inspirer de ce marivaudage qui n’est que la moindre partie du talent de M. de Musset, on pourrait dire qu’il a mis trop de mouches pour les figures, trop de guipures pour les épaules et trop de falbalas pour les robes. Enfin, comme un malheur n’arrive jamais seul, comme il est facile de se laisser entraîner trop loin et de perdre le ton juste et vrai, lorsqu’on substitue à l’inspiration naturelle l’enjolivement factice, il y a dans Louison des passages où ce talent si fin a poussé au noir, ou ce crayon si net s’est écrasé sur la pierre ; et lorsque le duc, à la dernière scène, prend des airs de paladin, entonne le dithyrambe et parle de son hermine ducale pour un fait aussi simple que celui d’aimer sa femme et de lui donner le bras en public, l’on se souvient involontairement d’un des plus ravissans proverbes de M. de Musset, et l’on se dit tout bas que, puisque l’auteur de Fantasio et de Namouna a pu côtoyer un moment l’emphase, il ne faut jurer de rien

Pourtant, que la malice ou l’envie n’essaient pas de s’y tromper : dans cette œuvre un peu décousue, un peu languissante, où le fond est plus léger que la forme n’est exquise, il y a plus de talent que dans toutes les pièces jouées depuis six mois à la Comédie-Française, à commencer par cette Amitié des Femmes, qui a révélé un nouvel inconvénient des révolutions, celui de rendre à la littérature des esprits long-temps concentrés dans les travaux administratifs. Dans les critiques que nous inspire Louison, ce qui domine, c’est moins le blâme que l’exigence ; nous nous plaignons d’autant plus que nous attendions davantage, que, d’heureuses circonstances ayant enfin donné à M. de Musset la popularité, on voudrait voir cette muse, débarrassée maintenant de tout noviciat et de tout obstacle, entrer résolûment dans une nouvelle phase, aborder de front la vraie poésie, la vraie comédie du siècle, laisser là l’ambre et les paniers, et se souvenir que, dans des temps comme les nôtres, un esprit supérieur comme le sien a mieux à faire qu’à raviver d’un pinceau délicat et indolent les portraits de nos grand’mères. Grace à un rare et précieux privilège,