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même, quelle sera la hauteur qu’on ne devra pas dépasser dans la disposition des tableaux ? nous répondrons aussitôt qu’il faudra faire en sorte que la toile la plus élevée soit parfaitement en vue. La hauteur des murailles du grand salon, depuis le parquet jusqu’à la corniche, est de 15 mètres. Des figures de grande proportion, telles qu’on en voit dans beaucoup de tableaux d’histoire, nous paraissent convenablement placées à une élévation de 10 mètres. C’est, à notre avis, la limite qu’on ne doit pas dépasser. Cette mesure est à peu près celle d’un des principaux ouvrages de notre Musée, la fameuse Cène de Paul Véronèse. Cet immense tableau a toujours été placé trop haut, et il suffit de se rendre compte du point de vue perspectif choisi par l’artiste, pour juger combien il trouverait à redire à la place qu’on lui a jusqu’à présent assignée. Cette admirable composition, qui ne perd rien de son effet à être examinée de fort près, devrait, nous le pensons, être baissée au moins jusqu’au niveau de la balustrade destinée à éloigner les curieux indiscrets. Le sommet du tableau serait alors le niveau que nous voudrions voir adopter pour les autres grandes toiles ayant des personnages de même proportion. On placerait plus bas et à portée des spectateurs les tableaux de chevalet, et surtout ceux des maîtres minutieux dont le travail semble acquérir du prix quand on l’examine à la loupe.

Si nous sommes bien informé, l’intention de M. le directeur du Musée serait d’exposer avec les tableaux quelques belles statues antiques. Ce rapprochement nous paraît d’un excellent goût, et nous désirons vivement qu’il ait lieu. Le marbre de Paros se détacherait merveilleusement sur les tableaux et sur les fonds dorés ; les deux arts ne peuvent se nuire, et sont l’un pour l’autre des auxiliaires utiles. Ainsi, une seule salle réunirait toute l’histoire de l’art. De quelque côté que se portât le regard, on rencontrerait un chef-d’œuvre. Quel plus noble enseignement que de voir la variété des moyens, et partout le même résultat : le génie commandant l’admiration !

Un mot en terminant. Nous avons déjà de grandes obligations à M. le directeur du Musée, qui nous a rendu maint tableau dont nous ne nous doutions guère. Qu’il nous permette de lui adresser une requête. Un Musée n’est point un lieu de promenade. On y fait de longues stations lorsqu’on a le goût des arts, et l’admiration a ses fatigues. Pourquoi ne placerait-on pas dans le grand salon quelques chaises pour le repos des visiteurs, ou même pour leur permettre d’examiner dans un recueillement commode les tableaux et les sculptures ? En Angleterre, on a des chaises dans le Musée britannique, dans la Galerie de Shakespeare, et même aux exhibitions des artistes contemporains. C’est un perfectionnement qui a son prix pour les véritables amateurs, et que nous voudrions voir importer dans notre pays.

Prosper Mérimée.