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rattacher à elle comme un massif inébranlable. La soumission volontaire des principaux chefs venait de nous ouvrir une voie pacifique jusqu’aux sommets du Jurjura : ces actes spontanés devaient influencer au plus haut point les riches tribus centrales, qui restaient seules à réduire. On ne pouvait guère différer cette dernière conquête, à moins de la refuser tout-à-fait. Deux corps d’armée d’environ huit mille hommes accomplirent en un mois cette grande opération et sans pertes sensibles. Deux engagemens couronnés par le brillant combat d’Azrou apprirent aux montagnards que toute résistance était vaine. Aussi, le 25 mai 1847, notre camp sous les murs de Bougie fut-il témoin d’une cérémonie d’investiture générale à laquelle ne manquait presque aucune tribu considérable de la grande Kabilie. De nouvelles soumissions ont été recueillies récemment. Les premiers paiemens de l’impôt ont été acquittés. Une contrée riche et industrieuse offre à notre armée des communications que les Turcs n’ont jamais su ouvrir, et à notre commerce des ressources imprévues.

Un calme à peine interrompu par des mouvemens sans portée a régné sur l’Algérie depuis cette époque. Notre conquête semble même avoir reçu sa sanction définitive. Abd-el-Kader, poussé à une lutte inégale contre l’empereur de Maroc, écrasé, plutôt que vaincu, sous la pression d’une masse irrésistible, s’est incliné sous la domination française, en remettant ses armes entre les mains du général de Lamoricière. Après la soumission d’un tel ennemi, une guerre sérieuse contre les indigènes semble impossible. La noblesse d’origine, le prestige de la sainteté, de la bravoure, de l’éloquence, l’énergie grave et contenue, l’intelligence du progrès européen unie aux instincts de sa propre race, toutes les qualités qui peuvent passionner des Arabes, Abd-el-Kader les réunissait. Toujours et partout, les hommes de cette supériorité sont exceptionnels ; mais, dût-il sortir du sein des tribus arabes un autre homme d’égale valeur, il ne serait pas redoutable au même point. Quel que soit le génie d’un chef, il lui faut du temps, il lui faut des occasions pour apprendre son nom à la foule. La popularité d’Abd-el-Kader est un héritage de famille, accru par un labeur de quinze années. Son pouvoir date d’une époque où la France n’était pas encore en mesure d’y faire contre-poids. Qu’un nouveau libérateur se relève aujourd’hui : comprimé aussitôt par nos ressorts stratégiques, il sera anéanti avant d’avoir propagé son influence. Voilà pourquoi la ruine d’Abd-el-Kader a été saluée, à juste titre, comme le gage d’une pacification durable.

L’impression qui reste de tous les détails qui précédent, c’est que nos possessions algériennes sont désormais à l’abri d’un péril sérieux, du moins de la part des Arabes. Un effectif, trop considérable peut-être (il est encore de 75,000 hommes), soutenu par 6,000 hommes de troupes indigènes et par 15,000 colons organisés en milices, est disséminé