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Il devenait évident qu’en prolongeant sur toute l’Algérie deux lignes de places, la première sur la cote, la seconde à une distance moyenne de vingt lieues dans l’intérieur, on dominerait complètement le pays. La zone intermédiaire serait maîtrisée par la surveillance et la menace du châtiment ; les populations méridionales seraient enchaînées par cette loi de leur existence qui les asservit au dominateur du Tell. On entreprit de généraliser ce plan par l’augmentation d’effectif que reçurent Médéah et Miliana, plus tard par la création d’Orléansville et enfin par celle d’Aumale. Tous ces points devinrent des chefs-lieux de subdivisions, des centres d’action de colonnes mobiles ; ils produisirent dans leur cercle topographique les mêmes effets qu’on avait obtenus à Mascara et à Tlemsen.

L’énergie guerrière de l’ennemi étant ainsi paralysée, sa résistance sur le champ de bataille ayant perdu presque toutes chances de succès, il restait à frapper les populations arabes dans leur moral et dans leurs intérêts matériels. Plusieurs corps d’armée sont mis à la fois en mouvement ; ils tiennent la campagne pendant vingt mois, croisant leurs marches, poussant des pointes rapides sur les groupes menaçans. La politique venant en aide à la force, on empêche les coalitions de tribus en créant à chacune des dangers personnels, des intérêts inconciliables. Ces combinaisons produisent pour un moment des effets merveilleux. Des soldats, des marchands isolés ou par petits groupes, commencent à circuler entre nos différentes places. La sécurité paraît s’établir sous la surveillance des populations, rendues responsables des délits commis sur leur territoire.

Toutefois l’émir n’était pas homme à contempler froidement, à accepter comme un fait accompli la ruine de son empire ; il méditait d’en recueillir les débris et de le reconstituer sous une nouvelle forme. Cette forme était celle du génie arabe proprement dit, l’existence nomade. Ainsi, dans le duel entre le génie français et l’instinct arabe, l’homme civilisé se perfectionne sans cesse et s’élève à force d’art au-dessus des obstacles ; le barbare, sans cesse déçu dans ses incomplètes tentatives de progrès, retourne aux conditions de la vie primitive. Désormais Abd-el-Kader aura pour capitale une ville de tentes, la zmala ; pour sujets, des tribus enlevées de force ou volontairement fugitives ; pour ressources, les grands troupeaux de cette multitude errante ; pour moyen de gouvernement, l’activité de ses cavaliers pillards et la menace de ses vengeances.

Nos troupes sont à peine rentrées dans leurs quartiers d’hiver, après vingt mois de fatigues, qu’Abd-el-Kader tombe comme la foudre au milieu de l’Ouarsenis, encore ému de notre invasion récente. Plusieurs des chefs nommés par nous sont massacrés ou mutilés. L’effroi gaffe nos partisans ; ceux de l’ennemi lèvent la tête. De proche en proche éclate une insurrection formidable, qui ne s’arrête qu’aux murs de