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passagères du moment, et, comme chaque nation a ses tendances propres, que le temps modifie, transforme ou déplace de jour en jour, ce code est fatalement destiné à se trouver tôt ou tard en désaccord avec les besoins du pays. Au lieu d’imposer des règles à l’avenir, M. de Metternich trouve plus rationnel et plus simple à la fois qu’on demande ces règles à l’avenir même, à la déduction naturelle des idées et des faits sociaux. Or, quel régime pourrait s’y prêter mieux que le despotisme, qu’aucun engagement ne lie, et qui peut, sans responsabilité comme sans entraves, changer chaque jour la loi ? Ce raisonnement n’a qu’un défaut : c’est de présupposer que le monarque absolu ou son premier ministre auront toujours, et à point nommé, ce qui est l’essentiel, l’intelligence parfaite de la situation.

Cette religion de l’absolutisme que professe ouvertement M. de Metternich ne va pas d’ailleurs, chez lui, jusqu’à l’intolérance, jusqu’à l’excommunication des sectes politiques dissidentes. Pourvu que le principe d’autorité soit sauf, il admet, dans certaine mesure, le système représentatif. « N’est-il pas naturel, dit-il dans son langage imagé, que le malade parle pour dire ou il souffre ? » Seulement M. de Metternich aime les malades dociles. Des chambres ou des états à voix purement consultative constituent, à ses yeux la meilleure des représentations. M. de Metternich n’avait, on le conçoit, qu’une foi médiocre dans notre régime parlementaire de 1830, auquel manquait le triple contre poids de la légitimité, d’une aristocratie puissante et d’une religion de l’état. Nul cependant ne rendait plus volontiers que lui justice à l’attitude gouvernementale de la France et de son chef. Un écrivain nous a récemment montré ici même[1] le prince de Metternich suivant, avec une bienveillante attention, la marche d’une expérience dont l’avortement ne l’a point, à la vérité, étonné, mais dont le succès ne lui aurait pas trop déplu. Après l’auteur de cette curieuse et fidèle étude, je n’ai pas à défendre M. de Metternich contre le préjugé qui lui reproche une horreur puérile de la France, cette fournaise à révolutions. Aujourd’hui même, et c’est beaucoup dire, le vieux chancelier autrichien ne nous voit pas si en noir que cela. Selon lui, nous sommes au fond bien moins révolutionnaires que littéraires. Qu’un homme émette un paradoxe éloquent ou simplement bizarre, vite nous adoptons le paradoxe et l’homme : c’est le fanatisme de la lettre moulée qui nous a perdus. Paris a fait la révolution de février parce qu’il a plu à M. de Lamartine d’écrire son roman des Girondins, et l’insurrection de juin, parce que M. Louis Blanc s’est avisé de publier une médiocre brochure sur l’Organisation du Travail, « un de ces essais, dit le vieux diplomate, comme

  1. De la Politique extérieure de la France depuis 1830, par M. d’Haussonville (1er novembre 1848).