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qu’Abd-el-Kader avait été créé par le traité de la Tafna, qui lui accordait sur la plus grande partie de l’Algérie un pouvoir vaguement défini par le nom d’administration. C’est une erreur. Ce personnage était déjà fameux depuis cinq ans ; il avait été, non pas créé, mais développé irrésistiblement, comme tous les hommes supérieurs, par les circonstances. À la chute du gouvernement turc, les haines de tribus à tribus, les rancunes particulières, les passions long-temps comprimées, avaient fait explosion de toutes parts. Après deux années d’une effrayante anarchie dans la province d’Oran, dans un moment de lassitude, il y eut accord pour demander un chef capable d’imposer aux factieux, capable de rétablir la paix et la religion. Trois grandes tribus de l’ouest, représentant la nationalité arabe, satisfirent à ce besoin d’ordre et de repos. Réunies dans la plaine d’Eghris, le 22 novembre 1832, elles proclamèrent sultan le jeune Abd-el-Kader, fils du marabout Méhy-Eddin. Plusieurs prophéties l’annonçaient comme un libérateur, et déjà il s’était distingué dans des combats contre les chrétiens. Elu du peuple, représentant l’aristocratie religieuse, il avait répandu fort au loin sa réputation de sagesse, de justice et d’énergie, quand nos traités vinrent, un peu plus tard, ajouter un nouveau prestige à sa puissance.

Abd-el-Kader sut profiter, en homme de génie, du temps de répit qu’il s’était ménagé par le traité de la Tafna. L’inconsistance était le vice de son armée vagabonde : il y introduit un noyau solide en créant des corps de réguliers, exercés à l’européenne par des déserteurs de la légion étrangère. En regard des anciennes villes comme Médéah, Miliana, Mascara., Tlemsen, qu’il a fortifiées pour couvrir ses frontières, il trace une ligne intérieure de défense par des établissemens qu’il crée à Tekdemt, Thaz, Boghax et Saïda. Ces places, qu’il croit hors de notre portée, deviennent les arsenaux, les magasins du nouvel empire arabe. Par malheur pour lui, le fanatisme de ses nouveaux sujets ne lui laisse pas le temps de consolider son œuvre. Il est obligé de donner prématurément le signal des hostilités. Il interdit, sous des peines terribles, toute transaction avec les infidèles. Avant même que la guerre sainte soit proclamée, une multitude fanatique inonde la Métidja, ne laissant derrière elle que des ruines, des cendres et du sang. Plusieurs de nos colons périssent, tous les établissemens sont anéantis ; de gré ou de force, les tribus indigènes disparaissent ; la plaine, où fleurissaient déjà tant d’espérances, n’est plus qu’une surface effrayante par sa nudité. Dans le Sahel même, plusieurs groupes, glissant entre les plis du terrain, vont répandre la terreur jusque sous les murs d’Alger.

Il n’y avait plus à discuter sur l’attitude à prendre en Algérie. On était attaqué : il fallait combattre, il fallait vaincre. En demandant que des mesures pour fortifier l’armée fussent prises d’urgence et sans attendre le vote législatif, le maréchal Valée eut la franchise de déclarer