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seule contient la solution des énigmes de la vie individuelle ou collective. Il y a peu d’écrits de Mme Sand qui ne soient empreints de cette teinte poétique que l’on peut appeler religiosité. Par malheur, religiosité c’est poésie plutôt que religion.

Bien que l’on ne puisse pas admettre sans réserve la théorie développée par l’auteur du Génie du Christianisme, la supériorité absolue des fictions chrétiennes sur les fictions antiques, il est certain que le christianisme a dégagé dans l’ame humaine des sentimens inconnus au vieux monde, des sources inépuisables de sensibilité, de rêverie, d’amour de fraternité, qui seront éternellement attrayantes pour les ames poétiques. En matière religieuse, Mme Sand a pris pour point de départ ce christianisme d’un extérieur séduisant, mais facile et presque exclusivement contemplatif, sans dogme précis et sans morale bien arrêtée. Par opposition à cette doctrine des pharisiens si véhémentement et si justement incriminée par le Christ, et qui substitue les vaines pratiques à la pureté des croyances, la lettre à l’esprit, la forme à l’idée, la doctrine de Mme Sand sacrifie entièrement les pratiques à un vague devoir de bonne intention et de poésie qui consiste à laisser flotter son ame dans la contemplation mystique du monde moral et du monde physique. Olympio (c’est un des noms que le lyrisme de l’orgueil a revêtus de nos jours), Olympio a souvent écrit que le poète est un prêtre, voulant par là se poser en pontife du haut de son matérialisme littéraire. Mme Sand semble avoir pris à la lettre cette croyance qui fait du poète le vrai prêtre et de la poésie toute la religion. Contempler, rêver, c’est prier ; que faut-il de plus ? C’est le fondement du devoir. Mais, que dis-je ? j’oublie l’amour ! Aimer ! mot magique et commode, qui ne comprend point seulement toutes les vertus, mais aussi toutes les passions. C’est le principe moral du mysticisme contemporain, et en vérité l’on en tire parfois des conséquences abusives sous prétexte d’harmoniser les passions, on les exalte ; sous couleur de rapprocher le cœur de la nature, on le déchaîne. Ainsi ce dogme de la contemplation et de la rêverie, qui n’est point fait pour donner à l’esprit beaucoup de virilité, aboutit à une morale qui ne saurait réellement donner beaucoup de vigueur à la conscience. Lors donc que Mme Sand se préoccupe de ces idées supérieures qui sont du domaine de la religion, c’est afin de nous conduire dans un monde de chimères poétiques et agréables où l’imagination tient l’empire de l’esprit et du sentiment. Non, ce quiétisme philosophique n’est point pour l’intelligence une discipline suffisante ni salutaire, et j’en prendrais volontiers à témoin toute la génération de petits ou de grands poètes qui depuis vingt-cinq ans se nourrit de cette vague religiosité.

Quant à M. Eugène Sue, je cherche en vain chez lui jusqu’à ce pâle sentiment d’une poésie religieuse, cette foi d’artiste, cette sorte d’islamisme