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disparaître par le cours naturel des choses ? Non, certes, car les principes générateurs de cette maladie de l’indifférence travaillent incessamment les ames avec d’autant plus d’énergie et de sécurité, qu’ils sont employés comme des remèdes. J’oserai en effet affirmer que la cause première de la faiblesse morale dans laquelle le pays se débat, c’est l’état de l’enseignement, c’est l’insuffisance du rationalisme et de la théologie, c’est l’opposition et souvent l’hostilité qui existe entre l’église et l’état, le catéchisme et l’école, le prêtre et l’instituteur. Ah ! ce sera le reproche terrible que l’histoire adressera un jour aux philosophes et aux théologiens de notre temps d’avoir eux-mêmes contribué par disputes vaines, par des querelles de sophistes, à répandre ce scepticisme qui nous glace ! La lutte existe en permanence dans les personnes et dans les choses sur tous les points du sol.

Il est généralement admis que, si la foi survit quelque part, c’est dans les campagnes plutôt que dans les villes, et que les paysans ont conservé bien plus que les ouvriers le respect des choses d’autrefois, et particulièrement de l’autorité religieuse. Eh bien ! entrons dans le premier village que l’on voudra, et visitons l’une après l’autre l’église et l’école. Le prêtre lui-même est un pauvre jeune homme de campagne qui a embrassé le sacerdoce un peu par penchant religieux et principalement par intérêt d’avenir. C’était le fils d’un ouvrier ou d’un petit cultivateur. Ayant reconnu en lui le goût de l’étude et un grain d’ambition, le curé du village, par bonté de cœur et par prosélytisme religieux, lui avait donné les premières leçons de latin. L’humble maître avait peu à peu, vers la quinzième année, dirigé l’esprit du jeune élève du côté du séminaire, en lui promettant beaucoup de gloire là-haut et une vie honorée et tranquille ici-bas. Il entre au séminaire, et ce n’est point un aigle. Il suit sans grande hâte la marche ordinaire des études ; il recherche la connaissance des langues anciennes, non point afin de sentir les beautés des littératures antiques, ni pour approfondir le secret attrayant des civilisations mères de la nôtre, mais tout juste assez pour entendre les auteurs sacrés. Quant aux sciences morales, à l’histoire, par exemple, qui est la plus haute école de philosophie pratique, il ne l’étudie pas au point de vue humain. L’histoire des peuples devient pour lui à peu près exclusivement l’histoire de la Providence, dont l’homme n’est que l’instrument passif et aveugle. Il apprend que toute prétention de la raison et de la pensée libre est une révolte, et qu’il n’y a en dehors de l’église qu’erreur et mensonge. Sans doute la réflexion et l’expérience du monde réel modifient souvent chez le prêtre les idées du séminaire. Arrivé à la maturité de l’âge après avoir assisté au spectacle de la vie simple et active d’une population laborieuse et sensée, dans le calme profond de la nature agreste, conseillère des bonnes pensées et des sentimens simples, il finit par laisser