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quel serait le moyen d’éveiller des préoccupations plus élevées de susciter de plus grands mobiles dans les ames étiolées par l’abus du raisonnement. On cherche avec anxiété sous quelle forme on pourrait faire parvenir au peuple des campagnes et des villes cette foi qui lui manque comme aux savans, et dont les agitations de la place publique font mieux sentir la nécessité. Parler au peuple de devoir et de droit dans un langage qui soit intelligible et persuasif, c’est en effet un des points importans du problème, et ce n’est pas la moindre des difficultés de l’art moderne. Sous l’empire des événemens, tout homme éclairé a pu le comprendre, et la science a été ainsi amenée naturellement à descendre de ses sublimes hauteurs pour se faire humble et s’adapter en quelque sorte aux exigences particulières de la démocratie. Envisagé par son côté philosophique, cet effort de la science pour remonter aux sources du devoir et du droit en ne suivant que les chemins accessibles au vulgaire, peut devenir fécond : c’est plus qu’une affaire de style et de petits traités, ce peut être une doctrine ; car la tentative est nouvelle, et elle plie l’esprit à de certaines allures de simplicité capables de le conduire à des découvertes peut-être imprévues dans les régions de la métaphysique religieuse et politique. Il semblerait donc que, par la force des choses, la pensée entre aujourd’hui, quoique d’un pas timide, dans une carrière spacieuse où elle aura amplement à moissonner. Suffira-t-elle à sa tâche ? C’est le secret de l’avenir. À en juger toutefois par un ensemble de symptômes significatifs, après un long silence de découragement, elle est décidée à reprendre l’influence qui lui convient. La génération vive et hardie qui a fait 1830, arrivée aujourd’hui à la plénitude de l’âge politique, a donné cet exemple aux générations plus jeunes qui viennent après elle ; et, s’il y a encore quelque virilité dans le génie de notre civilisation, ce mouvement des esprits ne laissera pas notre société dans sa stérile indifférence.


I

L’indifférence est si peu dans la nature de l’homme, que toutes les écoles philosophiques et littéraires s’efforcent de la combattre ; mais, tandis que les unes essaient de le faire en prenant la conservation de la société pour règle, les autres le tentent par le moyen d’une transformation complète de la religion et des lois. Les adversaires de la société ont en général de grandes prétentions apostoliques et se recrutent à quelques exceptions près, parmi les intelligences maladives et rêveuses. Hélas ! je ne saurais, pour mon compte, rire qu’à demi de ces sectaires d’un genre nouveau. Je ne puis voir, en effet, dans leurs élancemens mystiques, dans leurs aspirations incohérentes vers l’inconnu, que les