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de l’originalité. L’histoire a plus d’une fois signalé comment des intelligences d’élite destinées à un rôle se sentaient portées vers la lecture de Plutarque et y puisaient sans effort des inspirations faites exprès pour leur forte nature. Nos contemporains ont lu avec le même culte la vie des hommes illustres de notre époque révolutionnaire : ils ont voulu, eux aussi, puiser à ces sources vives de la démocratie, et se nourrir de cet esprit substantiel d’où sont issues nos lois modernes ; mais ces inspirations, apparemment, étaient trop nourrissantes pour leurs poitrines : ils sont revenus de cette étude comme enivrés, chancelans, réduits à l’état d’impuissance, incapables de rien tirer d’eux-mêmes, et préoccupés seulement d’imitations serviles. C’est donc en vain que, dans le bouleversement des conditions sociales, ils ont été tirés de l’obscurité : le flot qui les avait élevés jusqu’à la hauteur du pouvoir les a rejetés, meurtris pour la plupart, sur les écueils du rivage.

À défaut toutefois de ces originalités viriles qui donnent aux événemens un caractère précis et personnifient les idées sous une forme brillante, l’ère actuelle offre précisément le spectacle d’une société travaillée par un grand nombre de sentimens divers, tantôt soulevée par une tempête, tantôt réussissant à se rasseoir par sa propre puissance, comme la mer après l’orage, sans avoir une conscience bien nette ni des forces qui la poussent hors de son lit ni de celles qui la remettent en équilibre, mais désireuse pourtant de les connaître.

Pourquoi et dans quel dessein s’est accomplie la révolution de février, si peu attendue de ses auteurs même ? Comment le calme s’est-il rétabli en l’absence de toute constitution, en dépit de la faiblesse et des fautes d’un pouvoir tiraillé en tous sens et stérilisé par ses propres irrésolutions ? Pourquoi, après une nouvelle bataille et une nouvelle phase de repos, suivie de cette grande énigme de la présidence, l’avenir semble-t-il toujours enveloppé d’incertitudes ? Pourquoi enfin cette confusion d’idées contraires et contradictoires et cette fluctuation étrange des volontés qui ne cesse point avec les agitations de la rue ? Sommes-nous monarchistes ou républicains, sommes-nous sceptiques ou religieux, philosophes ou chrétiens ? Avons-nous une foi politique, et sur quelle base se tient-elle appuyée ? Voilà certes des questions de nature à occuper grandement les intelligences, et c’est par ce côté que la société d’aujourd’hui me paraît offrir un vif aliment à la pensée et à la controverse. C’est là en effet, dans ces profondeurs mystérieuses et cachées de l’ordre social dans ces replis de la conscience que réside, entouré de voiles, le secret de l’avenir ; c’est de là que doit sortir le bien ou le mal, la force ou la faiblesse, le salut ou la ruine du pays. Aussi bien, quiconque ne s’arrêtera pas à la superficie des choses remarquera que, dès à présent, de graves préoccupations philosophiques s’élèvent peu à peu chez quelques esprits d’élite, et qu’à ces luttes de la