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originalité. Il fait naître la terreur et le pathétique par des moyens modestes ; il sait la poésie des choses humbles et les tragédies secrètes de la vie ; ses effets vifs sont obtenus par des couleurs sobres. Tantôt une lumière brille à travers les fentes de la porte ou par le trou de la serrure, tantôt une clarté est entrevue dans l’obscur feuillage et au milieu d’une nuit sombre. Il excelle dans ce genre ; Rembrandt et Ruysdaël n’y sont pas plus habiles. Les sensations poétiques de la jeunesse, les émotions obscures et mystérieuses de la vie solitaire, reproduites dans son petit livre plutôt qu’analysées, frappent le lecteur à la fois comme des nouveautés littéraires et comme des échos animés de la vie réelle. Il évoque sous le toit le plus modeste, au coin d’un feu de tourbe, les terreurs de mistriss Radcliffe et de ses vieux châteaux ; un sifflement dans une galerie, une lumière qui s’éteint, un meuble qui tombe, appels secrets et inattendus à la sensation, qui deviennent touchans et singuliers. En cela, il est encore de l’école de M. Thackeray, dont il n’a pas la vaste et profonde expérience. Comme M. Thackeray, il exècre le cant. Vous quittez la lecture de Jeanne Eyre et de Vanity Fair tout animé contre le mensonge et les apparences, la fausse sévérité, la fausse grandeur, la fausse dévotion et surtout contre le puritanisme et les puritains.

Cette horreur de l’hypocrisie est commune à beaucoup d’écrivains anglais maintenant en vogue, notamment Thackeray, Dickens et Carlyle. Dans tous leurs ouvrages, la citadelle britannique du cant est attaquée de front. Qu’est-ce que le cant ? Byron en a beaucoup parlé. Ce n’est pas le calvinisme, ce n’est pas l’hypocrisie, ni la religion, ni l’affectation, ni la pruderie, ni l’anglicanisme, ni le puritanisme, ni la régularité ; c’est un peu de tout cela. Personne n’a dit à quel point les hommes de Cromwell ont formulé définitivement l’Angleterre. C’étaient eux qui cantaient, cantabant, chantaient nasalement leurs vieux hymnes de Rous et leurs chansons bibliques. Le cant, c’est-à-dire l’apparence extérieure d’une sainteté souvent menteuse, a crée tout un monde d’habitudes qui ne sont pas seulement anglaises, mais dont la trace se retrouve encore vivante à Genève comme à Glascow, à Boston comme à Lausanne, partout où l’institution calviniste a pris racine. Le dogme de la damnation prédestinée, la redoutable exagération du péché originel, la croyance au mal comme maître souverain de l’humanité, doctrine sombre de Cromwell et de Knox, formule désespérée d’un christianisme tombé dans l’excès de son principe, est la base profonde de ce vaste ensemble d’idées et de coutumes auquel se rattachent la littérature, la politique et les mœurs d’une portion notable des races septentrionales depuis le XVIe siècle.

Que l’on réfléchisse que Jansénius était du nord de la France, qu’il s’appelait Jansen, ou plutôt Jean-son, le fils de Jean ; que l’on veuille