Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 1.djvu/760

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bonnement. Il m’a remis ce billet devant vous la veille de la bataille où il a été tué. La balle a eu raison.

Amélie ne l’entendait pas elle regardait la lettre ; c’était celle que George avait glissée dans le bouquet de Rébecca après le bal du duc de Richmond. Le jeune fou avait eu cette belle idée d’enlever Rébecca.

Amélie laissa tomber sa tête, et, selon son habitude, se mit à pleurer, le front dans les mains. Rébecca, debout et appuyée sur la cheminée, la regardait. Qu’éprouvait Amélie ? L’idole de sa vie gisait dégradée et brisée à ses pieds ; son amour avait été cruellement dédaigné, mais aussi elle voyait tomber les barrières qui la séparaient d’une nouvelle et sincère affection. — Rien ne s’y oppose plus maintenant, pensait-elle ; je puis à présent l’aimer de toute mon ame. Oh ! s’il veut me pardonner !

Rébecca, qui traitait Amélie comme un enfant et trouvait ses faiblesses pitoyables, la consola, l’embrassa, l’encouragea. — Vite, lui dit-elle en lui prenant la tête dans les mains, une plume et de l’encre ! Écrivons-lui ! qu’il vienne tout de suite.

— Je… je… lui ai écrit ce matin, répondit Amélie, qui rougit excessivement. Rébecca partit d’un éclat de rire.

Un biglietto, chanta la pétulante Rosine, eccolo qua !… Et un long trille des plus hardis suivi d’une appoggiature improvisée fit retentir les lambris. Deux jours après cette scène, le jour se leva pluvieux, le temps était à l’orage. Amélie avait passé la nuit sans sommeil, écoutant les longs mugissemens du vent. Elle s’habilla de bonne heure et voulut absolument aller se promener avec GeorgE sur la jetée. La pluie battait son visage, ses yeux étaient fixés sur les vagues qui se brisaient en écume. George et elle gardaient le silence ; de temps à autre seulement, l’enfant adressait à sa timide mère quelques paroles d’encouragement affectueux.

— J’espère qu’il ne se sera pas embarqué par un temps pareil, dit Amélie.

— Je parie dix contre un qu’il l’a fait, répondit George. Regarde, mère, là-bas, la fumée d’un bateau…

En effet, un zigzag de fumée montait à l’horizon : c’était un paquebot ; mais peut-être n’était-il pas à bord, ou n’avait-il pas reçu la lettre, ou n’avait-il pas voulu revenir. Mille craintes assaillirent ce pauvre cœur aussi pressées que les vagues à l’embouchure de la Dyke. Le paquebot se rapprochait. George, au moyen d’un télescope de poche, suivait les mouvemens du navire et accompagnait de commentaires nautiques la marche du paquebot, tantôt soulevé, tantôt