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Rébecca était seule avec lord Steyne quand ce dialogue eut lieu entre elle et lui ; elle prit des airs si enfantins et si doux, ses espiègleries caressantes simulèrent une ingénuité si charmante, que le marquis céda Non-seulement elle dîna chez lady Steyne, mais elle vint à bout, succès miraculeux ! de la malveillance de ces dames, et comme ailleurs elle triompha. Ce fut une simplicité, une naïveté, une humilité, une fascination incomparables. Elle mit de côté toute prétention. Rien d’orgueilleux, de faux, de guindé chez elle. — « Vous avez toujours, milord, protégé les artistes, dit-elle à lord Steyne en regardant un tableau du salon. Vous avez été le premier protecteur de mon père, qui me l’a souvent répété. » — Cette modestie était l’habileté suprême. Qui aurait eu le cœur d’affliger une petite personne qui gardait si bien son rang et restait si naïvement à sa place ? Elle chanta des airs sacrés de Handel, parla de son fils Edouard avec une affection douce et profonde, fut tendre et convenable avec son mari, pleine de déférence pour la douairière, ne parla pas trop, fit valoir l’esprit des autres, et acheva même la conquête d’un diplomate des États-Unis, qui le soir, écrivant pour son journal sa correspondance ordinaire, y donnait la description complète et détaillée, selon l’habitude de son pays, « des trois services, des couvercles d’argent, des deux valets placés derrière chaque siége, et surtout de lady Rawdon, reine de la mode à Londres, et du costume délicieux, rose et blanc, qui lui allait à ravir. »

Quand les cartes de visite de lady Steyne et de sa fille eurent brillé dans le vase de marbre sculpté placé au milieu du salon pour et usage, la glace fut rompue ; tout le monde, c’est-à-dire la population exquise et élégante des ducs et des marquis, s’empressa de déposer à la porte de Mme Rawdon le talisman de la mode, le petit carré magique, qui veut dire : « Vous êtes des nôtres. » La présentation à la cour était la conséquence inévitable de ce progrès adroitement conduit. Sir Pitt Crawley se chargea de faciliter ce dernier pas. Le dieu du goût, le symbole du bon ton, George III accueillit Mme Rawdon avec distinction et l’admira. Le « premier gentilhomme de son pays, » comme on disait de lui, c’est-à-dire celui qui faisait le mieux la révérence et qui portait la perruque la mieux frisée, ne pouvait pas refuser son hommage à cette petite femme supérieure dans les mêmes artifices et maîtresse passée des mêmes talens. Elle fut admise dans les bals intimes, dans les réunions de choix où l’on jouait des charades, où Rawdon représentait Agamemnon endormi et assassiné, ce qui ne lui coûtait pas de grands frais d’imagination, et où Rébecca paraissait tour à tour en Clytemnestre et en marquise de Parabère, en tunique flottante où en paniers, et avec un œil de poudre ; adorable dans ses transformations, souriante et sereine dans son triomphe, toujours maîtresse d’elle-même.