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au front d’airain ont besoin d’une protectrice de leur timide pudeur. Il leur faut une femme à qui elles puissent s’attacher, tendres ames, et vous la voyez toujours près d’elles, cette triste et horrible amie en robe reteinte ; assise dans leur ombre, au second plan. »

— Rawdon, dit Rébecca vers la fin d’une soirée où plusieurs dandies entouraient dans son salon un feu pétillant (car on venait finir la soirée chez elle, et l’en était sûr d’y trouver des glaces et le meilleur café de Londres), je veux un chien de berger.

— Un quoi ? répondit Rawdon, assis à une table d’écarté.

— Un chien de berger ! dit le jeune lord Southdown ; chère mistriss Crawley, quelle fantaisie ! Pourquoi pas un chien danois ? J’en sais un aussi gros qu’une girafe ; par Jupiter ! il traînerait votre voiture ; ou un lévrier de Perse (je propose, s’il vous plaît), ou un petit bichon à mettre dans l’une des tabatières de lord Steyne ? Il y a un homme à Bayswater qui en possède un dont le nez (je marque le roi et je joue) pourrait vous servir à accrocher votre chapeau.

— Je marque le point, — dit Rawdon gravement. D’habitude il ne s’occupait que de son jeu, à moins qu’il ne fût question de chevaux ou de paris.

— Et quel besoin avez-vous d’un chien de berger ? continua le doux et léger lord Southdown.

— Je veux dire un chien de berger moral, dit Rébecca en souriant et en jetant un regard à lord Steyne.

— Que diable est cela ? dit sa seigneurie.

— Un chien qui me protége contre vous autres, messieurs les loups, continua Rébecca, — une dame de compagnie.

— Pauvre innocente brebis ! Vous en avez bien besoin, dit le marquis lord Steyne, dont nous nous occuperons beaucoup tout à l’heure. — Vous avez de petites dents si blanches et de charmantes griffes si roses, qu’elles ne sauraient guère vous défendre ; — et ses petits yeux gris cherchaient ceux de Rébecca.

Lord Steyne savourait son café près de la cheminée et à petits coups. Le feu flambait joyeusement, les bougies étincelaient et faisaient briller les candélabres dorés, les bronzes et les porcelaines. Assise sur un sofa recouvert d’un tissu semé de fleurs aux vives couleurs et vêtue de rose, Rébecca était admirable ; la transparence de sa peau se détachait en pleine lumière et semblait rayonner ; ses bras blancs, ses épaules éclatantes, brillaient à travers l’écharpe qui les drapait ; ses cheveux retombaient en anneaux sur son cou, et l’un de ses pieds sortait des plis de sa robe, à coup sûr le plus joli petit pied, orné du bas de soie le plus fin, dans le soulier le plus mignon qui fût au monde. À toute cette magie se joignait l’étincelle de l’intelligence, qui brillait dans cet œil bleu, dans ce regard acéré, dans cette parole vive et souple comme le serpent.