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pour ce garçon que vous gâtez, madame, que vous ruinez, madame, et qui pourrait être riche, si vous vouliez !

Une tragique démonstration nerveuse, accompagnée de sanglots, de larmes et de convulsions, fit retentir la maison tout entière.

— O ma mère ! ma mère ! s’écria Amélie, vous ne m’aviez rien dit !… Je l’avais promis à George Je n’ai vendu mon châle que ce matin… prenez l’argent, prenez tout !…

Les souverains d’or et les shellings d’argent, tombant de sa main tremblante dans celle de sa mère, roulèrent sur l’escalier. Elle se renferma dans sa chambre, et se sentit profondément coupable et misérable. D’un mot, elle pouvait rendre à l’enfant tout ce que son mari mort avait perdu pour elle, rang, fortune, crédit et amis ; du même mot, elle rendrait la joie à sa famille, le bien-être à son vieux père. Elle s’accusa d’égoïsme et d’ingratitude ; quelle horrible conviction pour cette ame si tendre ! Avant de céder, elle livra plus d’un combat.

Sous le toit modeste des Sedley régnaient la tristesse, la méfiance et la misère, dont elle voyait le flot monter tous les jours. Le propriétaire commençait à se fâcher ; la servante irlandaise, bienveillante et désintéressée, comme c’est le caractère de sa race, était en butte aux humeurs de Mme Sedley, qui imaginait sans cesse que cette fille lui manquait de respect. Sedley père allait créer sur de très grandes bases une nouvelle société d’assurances contre les insectes, et il radotait plus que jamais. L’amère et desséchante atmosphère de la pauvreté se répandait comme un poison subtil dans cette honnête famille. La mère était insensible au dévouement d’Amélie, à sa douceur, à ses sacrifices, à cette adorable bonté qui s’ignorait. Sans cesse traitée d’orgueilleuse, accusée d’idolâtrer son fils et de le ruiner, Amélie espéra tirer parti de son éducation ; elle peignit des écrans, à la grande admiration de la domestique irlandaise. Le papetier ne voulut pas les acheter, malgré un certain berger rose, avec une houlette, auquel la pauvre petite avait donné tout son soin. Elle en fut pour l’achat des couleurs et des écrans, et elle rentra chez elle le cœur bien gros, après avoir subi le refus du papetier. Elle essaya de donner des leçons ; que n’aurait-elle pas tenté pour garder son enfant ! Pauvre être faible, vous ne savez pas combien est violent et rude ce monde contre lequel vous avez la prétention de lutter ! laissez cela aux forts, qui souvent succombent à la peine.

Tous les jours, son visage maigrissait, et le regard qu’elle attachait sur son enfant devenait plus fixe et plus douloureux. Elle se réveillait la nuit, et elle allait doucement jusqu’au berceau pour regarder dormir George. Là, pleurant et priant quelquefois pendant la nuit entière, elle débattait en elle-même la terrible question : « le quittera-t-elle ? » Elle ne le peut pas, non, elle ne le peut pas ! Si elle épousait le vicaire ? Cette idée est une profanation. Elle ne peut s’y arrêter. Elle en a honte.