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revoir Amélie ; bref il envoya promener Dobbin. Qu’importait à la veuve ? Rien au monde ne l’intéressait plus, La vie d’Amélie, — cette vie humble et dévouée qui s’écoule chez son père devenu idiot, le vieux Sedley toujours livré à d’impossibles spéculations, — ne se compose point d’incidens extraordinaires ; son histoire n’abonde pas en traits merveilleux ; si elle avait tenu un journal de sa vie pendant les sept années qui suivirent la naissance de son fils on y trouverait peu de faits plus intéressans que la rougeole du petit George. On remarquait Amélie quand elle passait dans la rue ; les fournisseurs et les marchands qu’elle payait toujours comptant avaient de l’estime et de la considération pour elle ; les jeunes commis la saluaient courtoisement. Après tout, malgré l’intérêt que la veuve faisait naître, qui aurait pensé à elle, si elle n’eût été jolie ? « Hélas ! Oui, dit M. Thackeray, ce sont les jolis visages qui font naître la sympathie dans le cœur des hommes, êtres vicieux. Une femme peut avoir la sagesse et la chasteté de Minerve, elle n’obtiendra pas un regard de nous, si elle est laide. Quelle est la légèreté que deux yeux brillans ne feraient pardonner, la sottise que deux lèvres roses et une voix douce ne rendraient agréable ? Aussi les femmes, avec leur instinct habituel de justice, en tirent-elles la conclusion que lorsqu’une femme est belle, elle est sotte. Oh ! femmes, femmes ! en est-il donc parmi vous qui ne soient ni belles ni sensées ? »

Il advint un certain soir, au grand étonnement de la pauvre petite, que le révérend M. Binny lui demanda d’échanger contre le sien le nom d’Osborne. Amélie, toute rougissante, des larmes dans les yeux et dans la voix, le remercia d’avoir pensé à elle, lui exprima sa gratitude pour les attentions qu’il avait elles soit pour elle, soit pour son pauvre petit enfant, mais lui déclara que jamais, non jamais elle ne songerait à un autre mari que celui qu’elle avait perdu. Le 25 avril, le 18 juin, anniversaires de son mariage et de son veuvage, elle se renfermait dans sa chambre et consacrait ces deux journées à la mémoire de l’ami absent, sans compter les heures nombreuses de ses nuits solitaires et pensives à côté du berceau où son fils sommeillait. Le jour, elle était plus active ; elle apprenait à George à lire et à écrire et un peu de dessin. Elle lisait, afin de trouver dans les livres des histoires à lui raconter. L’enfant grandissait et développait son intelligence sous l’influence maternelle, qui lui apprenait de son mieux à connaître le créateur de l’univers. Soir et matin, la mère et l’enfant (communion solennelle et touchante dont le souvenir fait battre le cœur) priaient le Père céleste, la mère l’implorant dans toute la tendresse de son ame, et l’enfant balbutiant les paroles qu’elle prononçait. Chaque soir, ils priaient Dieu de bénir le cher papa, comme s’il eût été vivant et près d’eux. Plusieurs heures de la journée étaient employées par Amélie à parer et habiller son fils, à le mener à la promenade avant le déjeuner, à inventer