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690 REVUE DES DEUX MONDES. lette d’alchimiste qui trottine à mes yeux ébahis et qui me transporte tout à coup dans le monde aventureux et fantasque du moyen-âge! Ne me semble-t-il pas à tout instant que de cette petite porte mystérieuse va s’élancer une femme vêtue à l’orientale, avec des tresses noires reliées d’or, ta fille, Juif, ou ta cap- tive, sorcier infâme ? Que parles-tu d’aimer, Isaac? je t’adore tout simplement. Au reàte, que t’importe? Tu ne prétends pas sans doute me faire croire qu’il y ait un cœur sous ta robe de chambre feuille-morte? ISAAC. Eh! eh! mon enfant, on est fait de chair après tout, et tu m’as sauvé la ’Vife. rétais certainement en train de me noyer, quand tu me retiras du Danube. MAURICE. Il ne faut pas m’en savoir gré, bonhomme. Dans une intention qui m’échappe, tu nageais la tète en bas, et je ne pus te reconnaître; autrement je serais allé cofn- sulter quelque personne de poids avant de procéder à ton sauvetage. En vérité, Isaac, si j’ai commis dans le cours de ma jeunesse une action d’une moralité équivoque, c’est celle-là. Il m’en prend quelquefois des remords, et je ne te con- seille pas de venir jamais te promener avec moi au bord de l’eau. ISAAC Eh! eh! nous sommes en gaieté, ce soir, mon cher enfant... Mais quelle idée te fais-tu donc de moi , petit fripon , petit folâtre? MAURICE. Tu n’oserais nier toi-*même, Zaphara, que tu sois aussi haïssable que pitto- resque. ISAAC. Eh ! fiUot , j’ai toujours respecté la loi. A qui ai-je jamais fait du mal dans le monde? MAURICE. Et à qui as-tu jamais fait du bien, vase d’iniquité, et qui plus que toi en pourrait faire, si tu le voulais? Tu as des monceaux d’or, et jamais une obole n’a passé de ta main dans celle d’un pauvre; tu es plein de jours et d’expé- rience, et jamais un bon conseil n’est sorti de tes lèvres; jamais tu n’as versé dans une ame souffrante que l’amertume du doute. Tu es un savant chimiste, et tu n’as jamais soulagé une douleur. Si tu trouves un remède aux maux de l’humanité, tu le dissimules; tu n’appliques ta science qu’aux découvertes mal- saines et perverses; philtres effrayans, poisons subtils, substances destructives de toutes sortes, voilà les conquêtes que tu poursuis. Tu as reçu tous les dons, et tu les emploies tous pour le mal. Tu es un scélérat. Si tu n’avais pas peur de laijustice des hommes, tu aurais déjà fait sauter Vienne, et, le jour de ta mort, j’irai à la campagne. ISAAC , trottant avec désespoir par la chambre. Dreu d’Abraham, dieu de Jacob! me payer ainsi de ma tendresse! la seule affection de ma vie! Traiter ainsi un vieillard qui a toujours respecté la loi avec scrupule, un pauvre vieillard qui aura cent ans, vienne la pâque prochaine. MAURICE. Si véritablement tu ressens quelque tendresse pour moi, tant mieux; je serai 4on expiation. Il y a un Dieu, Zaphara, bien que’tu m’en aies fkit douter quel-