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fixer l’heure précise de cette abdication, qui, pour plus d’égards, doit toujours paraître volontaire, la marquait en évitant de la dire, sauf à la laisser calculer d’après le temps nécessaire pour la discussion de la loi électorale et la confection des listes. Dans cet intervalle, qui pourrait bien se prolonger jusqu’au commencement de mai, la constituante, selon M. Lanjuinais, ne devait faire en sus d’autres lois organiques que la loi sur le conseil d’état et la loi sur la responsabilité du président et des ministres.

L’amendement de M. Lanjuinais a fini par être adopté à la seconde lecture de la proposition Rateau, mais non, comme on va voir, sans une modification assez grave ; il a en outre été surchargé pour la troisième des amendemens moins concilians de M. Duplan, de M. Péan et de M. Senard. On voulait absolument se rattraper aux branches. L’assemblée, pressée de partir, reconnaissait elle-même, par une majorité malheureusement un peu précaire, qu’il n’y avait plus moyen de différer, et pourtant elle s’est résolue de si mauvaise grace, elle est revenue si souvent sur ses pas, elle a ergoté sur ses propres décisions avec une humeur si maussade, qu’en ce jour où elle s’est enfin élevée tout de bon à l’héroïsme du sacrifice, elle sera peut-être seule à s’admirer, elle cherchera peut-être en vain cet assentiment sympathique qui donne de la force aux individus comme aux corps dans les grandes occasions. Les péripéties de la seconde lecture avaient offert un intérêt assez piquant aux amateurs d’évolutions parlementaires et d’exercices oratoires ; nous n’en attendions pas moins impatiemment la troisième : c’est d’aujourd’hui seulement qu’on peut envisager la fin de ce provisoire dont nous aurons joui bientôt tout un an. D’aujourd’hui va commencer une nouvelle impulsion électorale.

Devant l’amendement de M. Lanjuinais, M. Rateau a d’abord modestement retiré sa proposition ; M. Pagnerre et M. Barthélemy Saint-Hilaire l’ont imité. Il est vrai que leur éloquence n’a pas été aussi discrète ; elle n’y eût pourtant pas perdu. La place ainsi libre, ç’a été le tour de la grande faconde, le tour des hommes forts. M. Pyat a parlé, M. Sarrans a parlé. M. Sarrans, né simple classique de province, a lutté de romantisme avec la verve mélodramatique et charivaresque de M. Pyat. M. Pyat avait appelé M. Lanjuinais un Rateau modéré ; M. Sarrans, pour la peine, a presque tutoyé Lamartine ; il nous l’a montré prenant la république dans sa main et soufflant dessus en lui disant : Va tomber où tu pourras ! C’était du Michel-Ange. « Le beau morceau de littérature ! » s’écriait sans plus de férocité le général Changarnier, tout en complimentant M. Pyat, dont il parait aimer le voisinage sur les bancs de l’assemblée. M. de Lamartine a fait mieux encore avec M. Sarrans ; il lui a répondu tout au long. Son discours est certainement un grand discours, avec du mouvement, de l’imprévu, des images, avec toutes les qualités et toutes les richesses de son talent. Il conclut dans notre sens, et nous en sommes charmés ; mais nous n’en sommes pas plus disposés à nous fier désormais aux inspirations de M. de Lamartine. De son propre aveu, le hasard y prend toujours trop de place, et cet insatiable besoin d’aventures qu’il ne peut s’empêcher d’exprimer en toute rencontre ne passera plus jamais pour une règle de conduite politique. Qui sait cependant où cet étrange besoin d’une ame sans patrie ne pousserait pas un jour le parrain de notre république ? Il n’a pas craint de dire à cette assemblée qu’il a lui-même convoquée au nom de la république proclamée par lui : « S’il était vrai que la