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Selon lui, les légitimistes ne s’étaient jamais avoués vaincus. S’ils n’étaient pas dangereux comme parti, ils l’étaient comme élément de coalition, comme pouvant, à un moment donné, apporter aux républicains déjà maîtres de la classe ouvrière, l’appoint de la classe agricole, qu’ils trompaient par leur affectation de libéralisme, et qu’ils rassuraient, contre les dangers de cette alliance, par la nature de leurs intérêts, éminemment conservateurs de la propriété. Voilà pourquoi l’ancien roi avait cru devoir long-temps encore restreindre l’action électorale à la classe moyenne, dont la majorité répudiait également les légitimistes et les républicains. Il reproche à cette classe de n’avoir pas eu l’intelligence de son rôle. « Je n’ai pas pu réussir, dit-il, à faire de la bourgeoisie un parti politique. »

Louis-Philippe est tristement préoccupé, de l’avenir de ses fils. Une fois sur ce chapitre, il oppose avec une certaine amertume leurs services militaires et leur irresponsabilité politique au décret qui fait peser sur eux une sorte de mort civile. Des démarches furent faites, peu après juin, auprès du chef du pouvoir exécutif, pour obtenir la remise des biens des princes : « Il n’est pas mauvais, aurait-on répondu, que les princes soient pauvres comme tout le monde ; il est même utile qu’ils le soient davantage. » Ces paroles, rapportées à Louis-Philippe, provoquèrent de sa part de nombreuses récriminations ou le reproche d’ingratitude n’était pas le moins fréquent. De tous les généraux d’Afrique que les événemens de juin ont mis en évidence, le chef du pouvoir exécutif était, selon Louis-Philippe, le moins préparé au rôle suprême. Il ne lui accordait que des qualités militaires de second ordre et peu d’aptitude politique. MM. Bedeau et Changarnier, celui-ci surtout, qu’il croit doué d’une grande connaissance des affaires, lui paraissaient beaucoup plus capables de maîtriser la situation.

Quant aux hommes du gouvernement provisoire, Louis-Philippe les trouvait, pour la plupart, au-dessous de tout commentaire. Il ne faisait même pas grace à M. de Lamartine. Les éloquentes pauvretés de l’illustre poète n’étaient pas, en effet, de nature à le relever beaucoup dans l’esprit du vieux roi, dont le positivisme classique formulait, il y a plusieurs années, cette pittoresque opinion : « Je savais déjà que M. de Lamartine faisait d’assez médiocres vers, mais je ne le croyais pas si faible en politique ! » Les excentricités oratoires de M. Caussidière, les souvenirs d’estaminet de M. Flocon et les « bulletins de la cour » de M. Marrast ont eu plus d’une fois le privilège de dérider Louis-Philippe. La partie, féminine du gouvernement provisoire était elle-même très en faveur à Claremont, et cette exclamation d’une grande dame de 1848, saluant pour la première fois d’un regard émerveillé les coussins d’une voiture royale : « C’est nous à présent qui sont les princesses ! » a vaincu jusqu’à la mélancolique gravité de Marie-Amélie.