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contre lui. Candidat la veille encore, tout animé de l’ardeur de la lutte, tout meurtri de ses coups, on lui demandait de planer dans une sereine indifférence au-dessus des partis, comme un roi né sur le trône. Cette impassibilité, déjà difficile à un roi, on l’exige d’un président de république qui n’a pu parvenir à cette haute dignité qu’à la condition de passer par la fournaise d’une élection populaire. Entre ceux qui l’auront porté sur le pavois et ceux qui l’auront, par la presse et par la tribune par les mille moyens de la publicité électorale, combattu, calomnié, outragé dans son honneur, blessé dans son amour-propre, on lui demande de tenir la balance égale et de n’avoir pas de préférence. On oublie que, tandis qu’un roi ne doit jamais être un homme de parti, un président de république l’est au contraire nécessairement. Il ne peut arriver à cette haute dignité que porté par un parti politique comme son chef et son expression. Il ne peut réunir les suffrages qu’en arborant la bannière d’une opinion politique : parvenu là, on lui demanderait d’abaisser son drapeau devant un autre ! Pour être élu, il aura dû faire un programme ; élu, il n’aura pas la liberté de le tenir ! Après avoir grandi par les luttes politiques, prêt à y rentrer le lendemain de sa présidence, il n’y a qu’un seul jour où il n’aura pas le droit d’avoir de pensée personnelle, c’est celui où il aura le gouvernement entre les mains ! Si quelque différence de date dans l’élection ou quelque intrigue d’ambitions déçues a éloigné de lui la majorité de la chambre, il devra assister, concourir de sa personne, à l’affaiblissement de sa propre cause ! il arrivera au pouvoir, non pas pour appliquer, mais pour combattre ses propres idées ! Quel renversement de tout sens commun ! On peut écrire de pareilles choses, mais on écrit en même temps la condamnation de son intelligence.

Et pour prix de cette indifférence obligée qu’on impose au président, pour récompense de cet effort méritoire qu’on lui demande, quand il aura été forcé d’être complice et témoin d’une politique démentie par sa conscience et son bon sens, savez-vous ce qu’on lui réserve ? La responsabilité, dans les cas extrêmes, des fautes et des malheurs que cette politique peut entraîner ! Je dis dans les cas extrêmes, car on veut bien déjà reconnaître que la politique quotidienne, les actes ordinaires, les péchés véniels, pour ainsi dire, ne lui seront pas imputés. On veut bien établir une distinction entre la responsabilité de la politique proprement dite et celle des grands actes qui troublent la société entière et déchaînent les révolutions. Ceux-là seulement, dit-on, engageront la responsabilité du président ; le reste sera imputable à ses ministres. On rétablit ainsi, indirectement en sa faveur, une inviolabilité bâtarde et déguisée ; on lui fait monter un des échelons de la monarchie : distinction utile peut-être à la circonstance, mais que les faits se chargeront promptement d’effacer ; car il en est de la conduite politique des gouvernemens