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la papauté, par des moyens violens, l’étouffait passagèrement, mais n’en pouvait détruire le germe, qui, suivant la parole apostolique durera autant que le christianisme. La réforme n’a fait que révéler ce qui était latent, que constituer politiquement et localiser géographiquement la protestation sourde qui errait au sein des peuples durant le moyen-âge. Si la réforme a opéré cette œuvre durable, si elle a régularisé en quelque sorte l’opposition de la liberté à l’autorité dans le christianisme, elle le doit aux progrès politiques et matériels qui avaient changé la face de l’Europe lorsqu’elle parut.

D’un côté, les nationalités venaient de se constituer et de se fondre partout dans l’unité du pouvoir royal, ce qui rendait plus facile l’assimilation d’une idée à un peuple. D’un autre côté, l’imprimerie établissait entre les esprits une circulation de pensées rapide, incessante, qui allait devenir pour la raison générale de l’humanité ce que la circulation du sang est pour le corps de l’homme, qui allait déjouer tous les bâillons et toutes les chaînes, comme la liberté intérieure de l’ame défie toutes les oppressions de la matière. Le jour où l’imprimerie fut découverte, il fallait bien que les hérésies eussent un caractère de permanence. Jusque-là, les doctrines vivaient et mouraient avec les hommes qui les portaient dans leurs têtes : on pouvait effacer jusqu’aux dernières traces d’une hérésie en tuant jusqu’au dernier de ses adeptes. Cela était arrivé pour les albigeois. Cela fut impossible quand l’imprimerie vint figer la pensée en une forme indépendante et mobile, et lui donner avec un courant incompressible une force de propagation indomptable. Dès-lors on put prévoir qu’il deviendrait aussi inutile qu’atroce d’attaquer dans le sang et la vie d’un homme une croyance immatérielle. Dès-lors on ne put espérer de vaincre le fanatisme que par le zèle, l’erreur que par la vérité, l’idée que par l’idée. Dès-lors l’impuissance des persécutions étant démontrée, le principe d’autorité ne devait plus conquérir l’ame que par la persuasion, et y régner que par l’adhésion volontaire du croyant. Dès-lors la liberté religieuse ne devait plus être seulement un droit, elle devait devenir un fait ; la tolérance ne serait plus seulement une vertu, elle finirait par être une nécessité. Le partage de l’Europe en états protestans et en états catholiques semblait fait exprès pour inculquer à notre civilisation ces grands principes de la tolérance et de la liberté religieuse. Chaque peuple avait des dissidens dans son sein ; le culte qui était dissident dans un pays était souverain dans un autre ; à la longue et instinctivment ; il était inévitable qu’une tolérance réciproque ne sortît d’une pareille situation. Les catholiques de France, à force de gémir sur les persécutions de leurs frères d’Angleterre, devaient finir par comprendre combien il était odieux de persécuter leurs compatriotes protestans ; les Anglais, à force de dénoncer l’oppression dont leurs coreligionnaires