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Mais ces bêtes fauves savent parler,
La fumée des maisons les attire ;

Et, comme il n’y a plus de moutons dans le pays.
Ils mangent les êtres baptisés.

Ils mangent les petits enfans qui ont reçu le baptême
Et souvent les hommes forts

[1].</poem>

Toutes ces fables prouvent l’activité intellectuelle du peuple. Entouré d’un monde de mystères, qu’il veut sonder à tout prix, il invente l’explication qu’il ignore, il ramène à lui la création entière. Là est l’origine de toutes les mythologies : on y trouverait également celle des sorciers. Le peuple a attribué à leur puissance secrète les effets dont il n’apercevait point les causes ; il a trouvé du soulagement à se supposer un invisible ennemi ; c’était du moins quelqu’un à accuser et à haïr. Aussi les sorciers ne me semblent-ils point seulement les auxiliaires de nos aspirations vers l’impossible, ce sont encore plus les victimes expiatoires de notre orgueil. Sans eux, nous aurions l’air de ne pas comprendre ; ils justifient l’inconnu.

— Il y a du vrai dans ce que vous dites, reprit le capitaine, bien que vous fassiez trop bon marché de la magie en elle-même. Une science constatée par le témoignage de tant de générations ne peut être jugée légèrement. Du reste, vous avez raison en regardant les sorciers comme les parias de nos campagnes. Pauvres, vieux et sans famille, ils effraient tout le monde, parce que personne ne les aime. Le peuple sent instinctivement que l’homme isolé est hors des voies humaines, qu’il faut qu’il soit un saint ou un damné ; de là l’horreur pour ces ermites du diable, comme je les ai entendu appeler en Provence. Chacun leur fait tout le mal qu’il peut et leur souhaite tout celui qu’il n’ose leur faire. Ils le savent et ne laissent échapper aucune occasion de se venger.

— Non, non, dit Ferret, qui, un peu dérouté par notre discussion psychologique, venait pourtant d’en comprendre la conclusion, il ne fait pas bon les avoir contre soi, à preuve Ferou, qui, pour s’être permis

  1. Chou chouk, chou chouk, va Lapoussik
    Chetu Guillou Gréomp choukik, etc.
    Le chanoine Moreau, dans son Histoire de la Ligue en Cornouaille, explique la superstition à laquelle la chanson bretonne fait allusion. « Dès le commencement de leur furieux ravage, les loups ne laissoient dans les villages aucuns chiens, mais les attiroient au dehors par ruses et les dévoroient… Telles ruses de ces bêtes sont à peu près semblables à celles de la guerre et mirent dans l’esprit du simple peuple une opinion que ce n’étoient pas loup naturels, mais que c’étoient des soldats déjà morts qui étoient ressuscités en forme de loups pour, par la permission de Dieu, affliger les vivans et les morts, et communément parmi le menu peuple, les appeloient-ils, en leur breton, tud-bleir, c’est-à-dire gens-loups. »