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Rose. Guillaume de Normandie écrivait un Bestiaire où poème sur les bêtes ; Guillaume Osmont, un Volucraire et un Lapidaire, œuvres factices destinées aux seuls docteurs du temps.

Outre les fragmens des poèmes chevaleresques conservés dans la mémoire du peuple, les trouvères et les troubadours y avaient laissé le souvenir de leurs sirventes ingénieuses et de leurs fabliaux satiriques. Cette littérature légère, sensuelle, ironique, correspondait à tout un ordre d’instincts ; c’était une forme dont le moule se trouvait dans des milliers d’esprits, une langue qui avait pour ainsi dire son peuple ; elle devait donc facilement s’étendre et persister. La brièveté des récits ajoutait encore à leurs chances de conservation. La noblesse avait été d’abord la seule à recevoir ces muses folâtres et aventurières ; mais, chassées plus tard des châteaux, elles vinrent demander asile aux chaumières. Là, leurs riches costumes tombèrent bientôt en lambeaux, et chacun de leurs hôtes dut les vêtir selon son goût ou sa pauvreté ; cependant la grace première persista, et l’œil attentif continua à reconnaître dans la muse paysanne la gente fille des troubadours.

C’est surtout dans le midi qu’on peut encore la retrouver aujourd’hui, non plus élégante, fine et fleurie comme autrefois, mais à peine moins vive et toujours aussi railleuse. Là, en effet, la joie est dans l’air ; le soleil brille, la terre fleurit, le froid et les ténèbres du nord sont inconnus. Le plus pauvre a pour invisible vêtement la chaleur, la lumière et les parfums. Races heureuses, qui ont fait du travail un prétexte de danses ou de chants, et qui connaissent encore la moquerie sans fiel, cette innocente épine de la gaieté ! Habitués à vivre sous le ciel qui les couvre comme une tente de soie, c’est à peine s’ils s’approchent de l’âtre pendant quelques semaines d’un hiver printanier. Noël est pour eux le signal de cette courte retraite ; c’est la prise de possession des réunions de voisins, des soupers de famille et des vieux contes. Les méridionaux en ont fait, comme de toute chose, l’occasion d’une fête qu’ils appellent calène. La veille de Noël, quand tous les invités sont réunis, le grand-père prend par la main le plus jeune enfant du logis et le conduit jusqu’à la porte, où se trouve une bûche d’olivier. L’enfant fait trois libations de vin sur le calignaou (c’est le nom que l’on donne à la bûche), et répète tout haut :

Aleyre Diou nous aleyre !
Cacho fué ven, tout ben ven ;
Dieu nous fagué la graci de veire
        L’an queu ven ;
Se sian pas maï, que si gueu pas men[1].

  1. Joie ! Dieu nous donne joie ! — Le feu caché vient, tout bien vient. — Que Dieu nous fasse la grace de voir — L’an qui arrive ; — Si nous ne sommes pas plus, que nous ne soyons pas moins.