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remarquer que ce journal était intitulé la Balance comme celui qu’il fondait à Francfort, en 1818, et qui commença sa réputation ? Retour volontaire, je veux le croire ; à ces belles années où sa conscience ne lui reprochait rien ! témoignage de repentir et de regret !

Cette alliance de la France et de l’Allemagne le préoccupait sans cesse. Quelques mois avant sa mort, dans l’automne de 1836, il écrivit à ce sujet un manifeste qui est certainement son chef-d’œuvre. Louis Boerne comprenait plus clairement chaque jour le mal qu’il avait causé en s’abandonnant contre son pays à d’injurieuses colères. Il voulut mettre sa conscience en règle et analyser une dernière fois, avec toute la netteté qui dépendait de lui, ce grave problème des rapports réciproques de l’Allemagne et de la France. Boerne était le chef de l’école libérale qui sympathisait avec la France et proclamait les principes dont nous avons le dépôt ; en face de cette école, dont M. Henri Heine est aussi l’un des plus charmans interprètes, l’Allemagne avait vu se former le parti teutonique, issu des fantaisies réactionnaires qui suivirent l’explosion de 1813, et reconstitué après 1830, grace aux imprudences de Louis Boerne. Ce parti jaloux avait suscité un écrivain d’un fanatisme implacable, M. Wolfgang Menzel, esprit étroit et véhément, qui possède au plus haut degré le génie de la rancune et l’éloquence de la haine. C’est à M. Menzel que s’attaque Louis Boerne. Menzel le mangeur de Français (Menzel der Franzosen fresser), tel est, le titre de ce vigoureux écrit que les Allemands appellent le testament de Louis Boerne ; admirable testament, où les plus sages conseils sont donnés à l’Allemagne avec la hardiesse du vrai patriotisme. Assez d’historiens et de publicistes ont flatté les peuples germaniques et entretenu chez eux des sentimens de défiance et d’envie indignes d’une grande nation : Louis Boerne oppose aux sophistes une logique formidable. Non-seulement M. Menzel, mais tous ses aides-de-camp, M. le prince de Puckler-Muskau, M. de Raumer, sont victorieusement réfutés, tantôt avec cette ironie pénétrante dont il avait le secret, tantôt avec une vigueur, avec une sûreté de coups, avec une puissance magistrale qu’on ne lui soupçonnait pas. Entre les flatteries de M. Menzel et les rudes explications de Louis Boerne, les esprits sérieux de l’Allemagne n’ont pas hésité ; ils ont compris de quel côté était l’amour du pays, de quel côté l’intelligence de son présent et de son avenir. Le parti teutonique a diminué de jour en jour, et le parti libéral s’est accru. Si les prétentions exclusives des teutomanes ont reparu à l’assemblée de Francfort, elles ont trouvé peu d’écho chez les esprits qui ne confondent plus le patriotisme