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signalant avec joie les hardiesses de l’esprit nouveau et faisant une guerre sans pitié à toutes les tentatives illibérales. Dans ses articles sur Jouffroy et Farcy, sur M. de Rémusat et M. Magnin, M. Sainte-Beuve a tracé avec l’émotion pénétrante du souvenir personnel une suite de tableaux exquis sur cette vive époque de transformation et de rajeunissement. On dirait les chapitres d’un beau livre. Quand l’histoire sera terminée, quand on fera le tableau complet de cette généreuse adolescence du XIXe siècle, le disciple de Jean-Paul y tiendra dignement sa place.

Derniers momens de philosophie libérale, d’enthousiasme sans reproche, d’ardeur intelligente et féconde ! La révolution de 1830, en couronnant les efforts de cette France qu’il aimait, va ouvrir au publiciste allemand les abîmes révolutionnaires et lui donner le vertige. C’est en ces heures de crise que se fait l’épreuve des caractères. Louis Boerne avait plus d’ardeur que de force, plus d’esprit et d’imagination que de maturité pratique. L’ivresse de ces jours de flamme lui monta au cerveau.

Certes, un publiciste tel que lui avait un rôle sérieux à remplir après la révolution de 1830. S’il avait nettement interrogé la situation, il se serait dit que l’Allemagne ne pouvait pas encore profiter de la victoire de juillet, que la pensée publique n’était pas prête, et que les tentatives démagogiques, inévitables après une telle secousse, amèneraient infailliblement une répression excessive. Il aurait prévu enfin les nouveaux dangers du parti libéral. Que faire alors ? Rester à son poste, reprendre sa tâche, écarter toutes les embûches en mettant le frein aux folles passions révolutionnaires, et défendre par ces moyens pacifiques tout le terrain que l’opinion publique avait gagné depuis quinze ans. Louis Boerne ne comprit pas son rôle de cette façon. La dernière période de sa vie est la condamnation de tous ses travaux antérieurs. Il quitte l’Allemagne, il court à Paris, il va se jeter, les yeux fermés, au milieu de ces émotions ardentes qui feront trébucher sa raison. Les Lettres de Paris, écrites au jour le jour, sous le feu des événemens, sous le coup de chaque impression, donnent un tableau fidèle de la fiévreuse exaltation de son ame. L’esprit, assurément, n’y manque pas ; le talent y est plein de vigueur. Si ce n’était là qu’une œuvre d’art, une poétique étude sur le lendemain de 1830, on admirerait volontiers la verve fougueuse des peintures et la hardiesse des commentaires ; mais Louis Boerne, c’est lui-même qui l’a dit maintes fois, Louis Berne n’écrit pas avec de l’encre, il écrit avec le sang de son coeur, et, quand on voit dans ses lettres cette tumultueuse incohérence, cette agitation désordonnée, cet affligeant mélange de calme et de fureur, de finesse et de grossièreté, de sagacité ingénieuse et de caprices incendiaires, on comprend bien que ce n’est pas là un artifice du peintre,