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se seraient développés dans ces espèces de couvoirs, et les petits harengs auraient bien su se répandre le long des rives voisines, de manière à trouver leur nourriture. En admettant que chaque femelle employée contînt en moyenne trente mille œufs, en supposant que le tiers seulement de ces germes fût venu à bien, on voit que chaque millier de harengs consacré à cet usage aurait donné naissance à dix millions de jeunes, qui, parvenus à l’état adulte, représentent près de dix mille barils, ou treize millions de kilogrammes de poisson. Il va sans dire que ce qui précède s’applique aux côtes de la France aussi bien qu’à celles de la Suède.

En employant des œufs fécondés naturellement, qu’il recueillit sur les plantes marines et qu’il transporta avec de grandes précautions, Franklin parvint à naturaliser les harengs dans une baie d’Amérique où ils n’avaient jamais paru. En présence de ce fait, on ne saurait douter de la possibilité de multiplier ce poisson dans les localités qui lui sont familières, fallût-il s’en tenir au procédé de l’illustre Américain. Cependant, à moins de rencontres fortuites, comme en présente l’histoire des pêches, il n’est nullement aisé de ramasser une grande quantité de frai. Rien d’ailleurs au premier coup d’œil ne distingue les œufs fécondés de ceux qui ne le sont pas. Ce procédé est donc difficile et incertain. Au contraire, grace aux fécondations artificielles, on opère à coup sûr et sur des quantités d’œufs que rien ne limite. C’est donc à elles qu’on devra recourir. Sans doute des tâtonnemens seront d’abord inévitables, les premiers essais échoueront peut-être, plus tard même il faudra bien subir quelques mécomptes ; mais quelle industrie est à l’abri de ces inconvéniens ?

Nous avons dit ailleurs qu’on pouvait semer du poisson comme on sème du grain ; nous ne craignons pas de répéter ici ces paroles et d’ajouter qu’il faut ensemencer la mer. Qu’on ne s’effraie pas de ce que cette idée peut avoir de gigantesque au premier coup d’œil. Il s’agit simplement d’appliquer sur une plus grande échelle un procédé qui a déjà réussi, qui réussira certainement. L’immensité du champ ne fait rien à la chose. Féconder artificiellement quelques millions d’œufs de poisson pour repeupler une certaine étendue de côtes n’est certes pas plus étrange que de faire un télégraphe avec un appareil électrique de vingt ou trente lieues de long, et les intérêts dont il s’agit ici valent bien la peine qu’on fasse une tentative dont l’analogie et l’expérience garantissent d’ailleurs le succès.


A. de Quatrefages.