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cœur et en répand les richesses, il y a là, selon Boerne, de quoi nourrir des milliers de poètes ; c’est un grand fleuve qui roule de l’or.

À la mort de Jean-Paul, au mois de novembre 1825, Louis Boerne prononça son éloge funèbre dans un cercle littéraire de Francfort. Cet éloge est un hymne d’enthousiasme ; la douleur et la reconnaissance les regrets et les actions de graces, tout se croise, tout se mêle dans une langue éclatante et confuse qui semble vouloir reproduire la tumultueuse affliction de la foule. Ce sont des pleurs, puis des hymnes puis des bouffées d’encens. Il serait difficile de donner une idée exacte de ce beau discours, car Louis Boerne, pour mieux louer son maître, lui emprunte son style, ce style dont la confusion grandiose est ce qu’il y a de plus antipathique au génie de notre langue. J’en traduirai seulement les passages les plus accessibles :


« Une étoile a disparu des cieux ! Une couronne est tombée de la tête d’un roi ! Une épée s’est brisée dans la main d’un général ! Un grand prêtre vient de mourir ! — Ah ! pleurons cet homme qui nous avait été donné en compensation de nos misères et que rien désormais ne remplacera chez nous. En échange des biens qui lui manquent, chaque pays a reçu du ciel une consolation précieuse. Le Nord, au cœur froid, possède la vigueur du fer ; le Midi énervé a son soleil d’or ; la sombre Espagne a sa croyance ; la France, épuisée de ressources, a des trésors d’esprit, et la liberté illumine les brumes de l’Angleterre. Nous, nous avions Jean-Paul et nous ne l’avons plus, et nous perdons avec lui ce que nous ne possédions que par lui seul, la force, la douceur, la foi, la gaieté charmante, l’éloquence qui ne tarit pas.

« Les siècles passent, les saisons se succèdent Il n’y a de durable que le changement, il n’y a de vivant que la mort. Chaque battement de nos cœurs marque une souffrance, et la vie serait une blessure éternellement saignante, si Dieu ne nous avait donné la poésie. C’est elle qui nous prodigue ce que nous a refusé la nature, un âge d’or qui ne se flétrit pas, un printemps qui ne se fane jamais, un bonheur sans nuage, une jeunesse sans fin. Le poète est le consolateur de l’humanité ; il est ce consolateur, oui, quand le ciel lui-même lui a donné ses pouvoirs, quand Dieu lui a imprimé le signe sacré sur le front et qu’il ne porte pas son message pour un vil salaire. Tel fut Jean-Paul. Il ne chantait pas dans les palais des rois, il ne jouait pas de la lyre à la table des riches. Il était le poète des humbles, il était le chanteur des pauvres, et là où des affligés pleuraient, on entendait toujours les sons si doux de sa harpe. Honorons la cloche superbe qui retentit majestueusement aux jours de fêtes solennelles, mais réservons notre amour à l’horloge familière dont la voix accompagne chaque battement de nos cœurs, qui sonne à chaque quart d’heure pour nos joies, et qui, de minute en minute, nous distrait de nos chagrins.

« Dans un pays, on ne compte que les villes ; dans les villes, on compte seulement les tours, les temples et les palais ; dans les maisons, les maîtres ; dans le peuple, les confréries, et, dans chaque confrérie, celui qui la préside de toutes les saisons, le printemps seul est aimé ; en voyage, on n’admire que les larges routes, les fleuves et les montagnes, et ce que la foule admire est célébré par