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jour et s’exprimer librement, il choisira dans ce même groupe de penseurs un guide nouveau dont l’imagination aimante conviendra plus intimement à son esprit : il sera le continuateur de Jean-Paul.

Le jeune Baruch avait quatorze ans quand il quitta la maison paternelle, en compagnie de M. Jacob Sachs, pour étudier à Giessen Il passa quelques années, confié aux soins du célèbre orientaliste Hetzel, et fut envoyé de là à Berlin, auprès d’un médecin israélite, M. Marcus Herz, qui se chargea d’initier le jeune étudiant aux premiers secrets de son art. C’est à la médecine, en effet, que le destinaient les vœux de sa famille. L’université de Berlin n’existait pas encore ; on sait qu’elle ne fut créée que plusieurs années plus tard, en 1810, quand la monarchie prussienne, après le coup terrible reçu à Iéna et à Auerstœdt, rassembla toutes ses forces pour relever ce peuple qui avait failli disparaître sous l’épée de Napoléon. L’enseignement des sciences médicales appartenait alors aux praticiens les plus renommés, qui formaient comme une sorte d’université libre, et réunissaient de nombreux élèves. Telle fut la position de Louis Boerne auprès de M. Marcus Herz. Le séjour de Berlin eut une influence décisive sur son esprit ; mais ce n’est pas la médecine qui en profita. Au contraire, sans démêler encore sa vocation véritable, il perdit insensiblement le peu de goût qu’il avait pour cette étude, et le brillant mouvement philosophique et littéraire qui animait déjà la capitale de la Prusse donna comme le premier éveil à sa pensée. Les plus grands esprits de l’Allemagne étaient réunis à Berlin. L’austère et patriotique philosophie de Fichte, la dialectique aimable de Schleiermacher, les brillantes théories des deux Schlegel, formaient dans cette société d’élite maints contrastes charmans qui ne furent pas perdus pour la vive imagination de Louis Boerne. L’ame de cette réunion, sa muse aventureuse et géniale, comme disent nos voisins, c’était Rachel de Varnhagen, et ce nom suffit pour faire entrevoir qu’aucun de ces précieux élémens ne dut rester isolé ou inutile. Rachel a tracé dans ses lettres un admirable tableau de cette société berlinoise. Figurez-vous le jeune étudiant, après sa triste vie de Francfort, transporté tout à coup au sein de l’Athènes germanique. Ce fut, on peut le dire, toute une révélation. Ses biographes nous disent qu’il renonça au judaïsme et se fit baptiser en 1818 ; mais dès ce jour-là, dès 1804, il sort pour toujours de l’étroite enceinte de la communion juive, et prend place dans la belle assemblée philosophique de son pays. Aussi, plus tard, après bien des années et bien des luttes, il gardera dans sa fleur ce souvenir des printanières inspirations, il aimera Berlin comme le berceau de son intelligence ; il y reviendra souvent, non plus obscur et perdu dans la foule, mais digne de siéger à côté des maîtres, digne de continuer à sa manière les prédications libérales et l’audacieuse fantaisie de Rachel.