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les autres qui parodient les événemens de la France, je crois qu’il y a quelque intérêt à interroger la vie et les écrits de Louis Boerne.

Les plus grands ennemis de l’Allemagne, à l’heure qu’il est, ce ne sont plus les réactionnaires imprudens ; ce ne sont ni les conseillers secrets qui exaltaient le méthodisme de Frédéric-Guillaume IV, ni les nationalités long-temps opprimées dont les rancunes ont fait explosion au milieu des débats intérieurs de l’Autriche : ce sont ces partis extrêmes dont je viens d’indiquer le double aspect. On ne connaît guère en France les démagogues athées ; les vulgaires impiétés de 93 ne ressemblent en rien aux sacrilèges savans de la jeune école hégélienne, et c’est chose vraiment difficile de faire apprécier ce baroque mélange de dialectique subtile et de passions sauvages, de talent réel et de pédantisme infatué, de prétentions et de cynisme. Le sophiste qui a voulu reproduire chez nous les allures de l’athéisme allemand a été rarement compris, et, tandis que les tribuns d’outre-Rhin traduisaient avidement ses ouvrages, nos clubs n’en retenaient que les cris furieux et les formules incendiaires. Ces athées, dont nous sommes portés à rire, sont, en Allemagne, les plus dangereuses troupes de l’armée démagogique ; le fanatisme du néant est le plus sauvage de tous. Je ne dis rien des émeutiers de profession, des républicains de barricades, toujours prêts à violer au nom du peuple les décisions du suffrage universel ; il suffit de les signaler en passant. Or, Louis Boerne, qui a été le publiciste révolutionnaire de l’Allemagne pendant une quinzaine d’années, eût été certainement l’adversaire le plus décidé de la démagogie hégélienne, et son esprit si vif, si net, déjà hostile à Hegel avant 1830, eût percé avec joie les creuses et hypocrites formules de ses indignes disciples. Quant aux autres, quant aux hommes de coups de main et de guet-apens, il les avait vus de près ; égaré quelque temps dans ces bas-fonds, son intelligence avait subi l’action de ce radicalisme qui détruit tout ce qu’il touche. Chute fatale dont la moralité ne doit pas être perdue ! par ses mérites et ses faiblesses, par ses triomphes et ses revers, toute la vie de Louis Boerne est un enseignement. Et qui sait ? les sages eux-mêmes, les modérés, pourraient bien, en ce moment, profiter quelquefois de ses conseils. Je lis souvent cette plainte dans les journaux allemands : « Ah ! si Louis Boerne vivait ! cette grande affaire de l’unité germanique ne serait pas si embrouillée, et l’on ne verrait pas le parlement de Francfort, après six mois de délibérations fastueuses, prêt à décréter la division de l’Allemagne plus grande et plus profonde qu’elle n’a jamais été. » J’ignore comment Louis Boerne serait sorti de cette folle entreprise où échoueront des hommes tels que M. de Schmerling et M. Henri de Gagern ; mais, à coup sûr, ce ne serait pas lui qui se livrerait, comme les députés du parlement germanique, à de sottes rancunes contre la France, ce ne serait pas lui qui chercherait