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leurs menus flèches sont trempées. Sans défense contre sa terrible petite ennemie, Amélie resta sur sa banquette, pâle, glacée, abattue. Le capitaine de dragons lui dit quelques mots assez gauches en passant, et Dobbin, malgré sa timidité, lui apporta une glace, et vint s’asseoir auprès d’elle. De grosses larmes roulaient dans les yeux d’Amélie, et, pour donner le change à Dobbin : — Mon mari devient joueur, lui dit-elle.

— Quand on a cette passion-là, répondit Dobbin, on se laisse attraper par les plus sots.

— C’est bien vrai, répondit-elle en soupirant. Elle ne pensait pas du tout à ce qu’elle disait.

Enfin George accourut auprès de sa femme pour reprendre le châle et le bouquet de Rébecca, qui, prête à quitter le bal, ne venait pas même souhaiter le bonsoir à son amie. Dobbin causait tout bas, dans un coin de la salle, avec le général de division, et Amélie, voyant ce qui se passait, laissait tomber tristement sa tête sur sa poitrine sans dire un mot à son mari. George rendit le bouquet à Rébecca. Au fond du bouquet, un billet se trouvait caché ; Rébecca s’en aperçut dès que le bouquet lui fut remis, et George lut dans ses yeux qu’elle l’avait deviné. Entraînée par son mari, qui paraissait trop distrait pour rien comprendre, elle serra la main de George, laissa tomber sur lui un de ses regards scintillans comme des éclairs, le salua et disparut. George, triomphant, n’entendait plus rien, pas même les adieux du dragon.

Cent fois il était arrivé à George de donner le bras à Rébecca ou de lui apporter son châle ; mais un secret pressentiment, un vague instinct avertissait Amélie que la scène du bouquet renfermait un mystère. Dobbin était revenu près d’elle. « William, lui dit-elle en prenant son bras et l’appelant par son nom de baptême sans s’en apercevoir, je me sens mal, reconduisez-moi ! » — Dobbin lui obéit, et ils traversèrent ensemble la foule épaisse qui encombrait les salons, et qui semblait émue. Pendant que la pauvre enfant se couchait en toute hâte pour ne pas déplaire à son mari, qui lui avait défendu de veiller et de l’attendre, Osborne, enivré de sa conquête, se mit à jouer, gagna, s’approcha d’un buffet, et but coup sur coup plusieurs verres de vin de Champagne, il causait et riait avec une extrême gaieté, quand Dobbin, pâle et de l’air le plus grave, revint le trouver.

— Mon vieux capitaine, lui dit George allons, un verre de vin de Champagne !…

— Je viens vous chercher, mon cher, ne buvez plus.

— Allons donc !… Figure de cire, vous reprendrez demain vos sermons ! À votre santé !

Quand Dobbin se fut penché à l’oreille de George et eut prononcé