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Cour du Cercueil, dans la Cité. Il y trouva ce débris de l’homme riche, le plus affligeant des débris. Le florissant, le joyeux et prospère John Sedley avait disparu. Son habit, jadis si luisant et si propre, avait blanchi sur les coutures, les boutons en cuivre étaient rouges ; son visage défait n’était pas rasé ; son jabot et sa cravate pendaient frippés sous son gilet, qui faisait poche. Lorsque jadis il régalait ses commis dans ce même café, personne ne parlait et ne chantait plus haut que lui. Le garçon était à ses ordres. Qu’il était changé ! qu’il était devenu humble et poli envers Jean, dont l’emploi consiste à donner des pains à cacheter, à verser de l’encre dans l’écritoire d’étain et à présenter un mince cahier de papier aux habitués, qui ne semblent pas consommer autre chose ! Quand William Dobbin entra, le vieux Sedley lui donna la main humblement et l’appela monsieur en hésitant. Notre bon Dobbin ressentit quelque chose comme de la honte et du remords en se voyant ainsi accueilli. Il consola l’homme ruiné, écouta ses plaintes, et pressa le mariage d’Amélie, comme on presse les funérailles d’un être chéri que l’on a perdu. Pauvre Dobbin ! il souffrait bien ! Le mariage eut lieu malgré Osborne le père, et fut triste. La pluie tombait par torrens. Trois ou quatre petits enfans du peuple assistèrent seuls à la bénédiction nuptiale donnée dans l’église. Il semblait que la malédiction du père et l’imprudence du fils présidassent à la scène.

Agamemnon ne pouvait manquer cette occasion magnifique de se montrer suzerain farouche, inexorable et solennel. Est-ce que le plus petit marchand de merceries, dès qu’il réussit, n’est pas aristocrate comme un czar ? Est-ce que le seigneur féodal de l’an 1000 avait plus de morgue et de sotte fierté que le premier spéculateur qui a réalisé des gains à la bourse ?

Le jour où il apprit que son fils était marié, le vieil Osborne s’enferma dans sa terrible chambre verte et y signa l’arrêt funèbre de George ; chambre lugubre dont le fond était occupé par deux grandes armoires d’acajou à glaces, renfermant la Pairie de Debrett, deux ou trois autres volumes héraldiques, l’Annual Register et la collection du Gentleman’s Magazine. Sur le bureau d’acajou reposait une énorme Bible reliée en maroquin noir, à fermoirs dorés, et sur la feuille de garde les noms de tous les membres de la famille étaient inscrits de la main du père. Une fois entré dans ce sanctuaire, il prit la Bible et l’ouvrit ; puis il effaça le nom de George de la feuille de garde, tira un carton et déshérita son fils adoré. La vanité se mêle aux sentimens les meilleurs, même à la tendresse paternelle. « Il sera aussi riche que lord un tel, s’était dit Osborne le père ; il entrera à la chambre des communes ; il deviendra ministre, et bientôt la chambre des lords lui ouvrira ses portes. Mon blason, le blason des Osborne, resplendira sur le fronton de son hôtel. » Comment pardonner un tel mariage ? Le vieux Sedley, père