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Wilhelmine Schwartz, belle de ses deux cent mille livres sterling était devenue l’objet des soins attentifs des demoiselles Osborne ; l’un arrangeait les plis de sa robe, l’autre disposait dans ses cheveux perles et rubans. Miss Schwartz les laissait faire et essayait d’envahir le cœur de George. Soins inutiles ! cette métamorphose, qui, aux yeux du père et des filles, transformait en Vénus Anadyomène miss Schwartz avec ses épaisses lèvres et son front jaune surmonté d’une forêt crépue, ne touchait pas George, insensible à ce colossal héritage. Faire entrer dans la famille une fortune comme celle de miss Schwartz, même en achetant ce bonheur par une mésalliance avec la mulâtresse, c’était une très bonne affaire selon Osborne l’ancien Pour Osborne le jeune, c’était une odieuse et exécrable tyrannie. Bientôt un sentiment plus généreux vint animer la résistance du fils. Sedley, qui avait longtemps été plus grand capitaliste que son ami, le meilleur des deux (the better man), devint le pire, c’est-à-dire qu’il perdit son argent à la bourse, quand Napoléon, quittant l’île d’Elbe, reparut comme une comète sur l’horizon européen Tous les fonds de Sedley disparurent, emportés d’un seul coup de bourse.

Ce fut une triste scène, le soir, entre le mari et la femme. Sedley rentra chez lui et s’assit au coin de son paisible foyer. George Osborne le fiancé n’était pas venu depuis trois jours ; la mère était irritée de cette négligence. « Savez-vous, dit Mme Sedley à son mari, que ces Osborne et leurs grands airs commencent à me fatiguer ? J’aimerais mieux qu’Amélie épousât le jeune Édouard Dale… ou Dobbin. Mais Dobbin est militaire, et tous ces militaires sont d’un orgueil ! » Le vieux Sedley ne répondait rien Hélas ! la pauvre femme ne savait pas à quoi tenaient les grands airs des Osborne. Ils devenaient riches, et Sedley venait de tout perdre. Le vieillard resta long-temps muet. Immobile, il semblait ne penser à rien et regarder dans le vide, comme il arrive quand le sort vous écrase, quand il semble que l’intelligence même s’engloutit dans l’abîme où vont se perdre considération et fortune. Mme Osborne continuait à griffonner des cartes d’invitation et à se livrer aux soins habituels de son active nullité.

— Répondrez-vous enfin ? répondrez-vous ?… Eh bien !… Qu’avez vous donc, Jean !… cher Jean !

Elle le secoua par le bras.

— Marie, lui dit-il tout bas, nous n’avons plus rien, nous sommes ruinés, tout-à-fait ruinés !

— Mon pauvre vieil homme ! s’écria la bonne femme, qui n’avait que du cœur, et elle lui prit la tête dans ses deux mains en pleurant.

Et ils pleurèrent ensemble. Il fallut subir les cruautés de la banqueroute et du concordat, s’exiler dans un faubourg, habiter une de ces petites maisons qui ressemblent à des boîtes de ver à soie, et que les