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avoir une cour ; elle se fait suivre de Manette et de l’autre enfant, et bat ses deux flatteuses, qui se laissent battre. Bientôt, s’avançant gravement avec elles du côté de la marchande de pain d’épice, elle distribue ses faveurs aux deux petites esclaves que sa nouvelle fortune vient d’enchaîner à son char. » — Ainsi parle le philosophe anglais Thackeray ; tout le monde, philosophe ou non, sait que cela se passe ainsi dans la vie. Le devoir du législateur et du moraliste est de faire prévaloir l’honneur contre l’intérêt, le devoir contre l’argent, c’est-à-dire l’ame contre le corps.

Osborne ne se piquait guère de philosophie. C’était un commerçant et un fabricant anglais, fier de son nom, de sa boutique, de son fils, de son argent, et même fier de sa mauvaise humeur. Il avait tout simplement emprunté aux Osborne de la pairie, vieux Saxons (Eastbourne), leurs armoiries réelles : une croix de gueule en champ d’or, avec la devise : pax in bello ! Veuf depuis assez long-temps, redouté de ce qui l’entoure, admirant sur sa vaisselle plate ce blason de commande, il rampe jusqu’à terre devant un lord, et il a élevé son fils dans ce culte de l’orgueil servile. Depuis l’enfance, George s’est laissé aimer et courtiser ; il croit, comme l’Achille d’Horace, que le monde est fait pour lui. La jolie et tendre enfant qui se nomme Amélie Sedley ne l’occupe guère ; il s’est habitué à regarder comme sa propriété celle qui de son côté s’est habituée à le regarder comme son maître. Ne lui en voulez pas trop ; ce n’est point sa faute, si la contemplation de ses magnifiques moustaches noires, l’adoration de sa chevelure élégante et la religion de sa personne l’arrachent aux douleurs de la vie amoureuse, ainsi qu’aux pensées de la vie domestique. Osborne fils se concentre dans le sanctuaire d’un moi fat, léger, imprévoyant et vaniteux, sans méchanceté comme sans dévouement. Il est d’ailleurs têtu comme son père et plein de vanité comme lui. George veut passer pour un Lovelace. Devenu capitaine, il cache soigneusement le nom d’Amélie et ses honnêtes amours. Pourquoi le jeune officier, un genou appuyé sur une chaise, semble-t-il si joyeux et si résolu, et quels sont les papiers qui lui servent à allumer son cigare devant ses amis qui le contemplent ? Est-ce une lettre de créancier ? Est-ce le billet d’une femme qui n’est plus aimée ? Non ; le capitaine Osborne est honteux d’être fiancé à la plus jolie et la plus aimable fille du monde, et il brûle ses lettres d’amour par vanité.

Il eut bien pu se faire que notre léger et charmant Osborne eût été infidèle à la jeune fille, si Osborne le père ne se fût avisé d’exiger absolument qu’il épousât miss Schwartz, mulâtresse et millionnaire. Cette volonté de l’Agamemnon bourgeois révolta le jeune homme ; l’entêtement du père vint se heurter contre l’obstination du fils, qui n’était pas homme à céder. Surchargée de ses rubans jaunes et tout éclatante sous sa robe de satin feuille-morte, brodée de mille couleurs, miss Amanda